Tou·te·s en terrasse !

Passe et terrasses : la réouverture selon Hugo Zaorski, (ex-)cuisinier

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© Christine Doublet

« Ils en sont où à la 13, j’envoie ou pas ? » « Et la 7, dessert, café, addition ? » « Pourquoi tu me ramènes une assiette à moitié pleine, ils ont pas aimé ? » « On n’a plus de pêche du jour ! » Il est 13 h 45 et le regard du chef s’égare pour la vingtième fois au-dessus du comptoir de cette salle décidément trop vide. De l’extérieur lui parvient la rumeur des client·e·s attablé·e·s en terrasse, trop faible pour qu’il puisse répondre lui-même à la question : comment ça se passe ? Frustrant, d’autant qu’il ne se l’était plus posée depuis longtemps. D’ailleurs, au début du service, sa main tâtonnait plus qu’elle ne trouvait les ingrédients sur le plan de travail.

Quelques heures plus tôt, la cuisine avait recommencé à vibrer. Chacun·e a enfilé son tablier, inspecté le frigo, aiguisé une lame émoussée. Des gestes et manies que le Covid n’est pas parvenu à faire oublier. Tandis que tou·te·s sont concentré·e·s sur leur mise en place, ils le savent : aujourd’hui se referme une parenthèse. Des mois durant, tout avait fini emballé, livré tiède, prêt à être consommé – mais plus maintenant. Adieu le simili-traiteur, l’épicerie de fortune et la cave à vins improvisée, fini le bricolage ! Retour aux sources : sortir le poisson, lever les côtes, écumer la marmite, surveiller le poulpe, nourrir la braise, pacosser les sorbets… Les visages se crispent, les gestes se précisent et le rythme s’accélère. Désormais, chaque minute compte à nouveau.

Petit à petit, heureusement, les automatismes reviennent. « Service ! » hulule le chef en même temps qu’il fait sonner la cloche. Sur le passe, deux assiettes, deux ambiances. Un serveur accourt, souriant mais transpirant. « À la 4, un onglet et un rouget. Tu fais gaffe au bouillon, t’en fous pas partout. Et n’oublie pas le pain, hein ! » lâche encore le cuisinier. L’autre tourne les talons. « Chaud ! »

Ça y est, ils y sont. En plein dans ce qui leur avait si terriblement manqué, cette émotion irremplaçable qu’ils chérissent autant qu’ils la redoutent : le jus, le vrai, plein de « allô ! », « à suivre », de dressages minute, de formules déjeuner en deuspi et de plonge qui s’accumule dangereusement dans leur dos. Le premier client était forcément arrivé cinq minutes trop tôt. Juste à temps pour admirer le ballet à travers la porte entrouverte.

Hugo Zaorski, l’auteur de ces lignes, n’est jamais devenu un sportif accompli, vénéré par les foules et choyé par les publicitaires, comme il l’espérait petit. En revanche, après être passé par les cuisines d’Elements et avoir fait parler sa plume pour le Fooding, il en a conservé le régime.

Dévorez également les récits de réouverture de la pêcheuse Emmanuelle Frésil et de l’autrice Pauline Dupin-Aymard dans notre rubrique Tou·te·s en terrasse !.

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