Cheffes de bande

Besma Allahoum, Mina Soundiram et la street food dans tous ses étals

Bánh mì tradi, kebab de nabab, sando gracieux, décadent smash burger, inévitable jambon-beurre… Bien packagée ou ficelée à l’ancienne, la street food campe désormais à tous les coins de rue. Besma Allahoum, cogérante du kebab Chëf à Lyon, et Mina Soundiram, docteure ès lèche-doigts de l’émission « Très Très Bon », mettent les mains dans la sauce pour décortiquer une tendance de fond.

  • Date de publication
  • par
    Nora Bouazzouni
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Besma Allahoum et Mina Soundiram

© Clémentine Passet

Depuis quelques années, la street food est partout, se faufilant jusque dans les cuisines étoilées et les guides gastro. Qu’est-ce que ce phénomène raconte ?

Mina Soundiram : Que de telles institutions s’en emparent, ça montre leur désir de se renouveler et de moderniser leur image. Parce que le repas gastronomique français et la pause déj’ qui dure deux heures, c’est terminé. La question, c’est comment on réinvente le déjeuner des Français ? Et aujourd’hui, la réponse passe notamment par la street food. La gastronomie descend dans la rue, mais la street food monte aussi sur la nappe – au resto, on se retrouve parfois avec un sandwich dans l’assiette ! Ça force les chefs à s’ouvrir à de nouveaux territoires, à tenter des techniques de cuisson, à créer… La gastronomie se nourrit de la street food, et inversement.

Besma Allahoum : Ça ne m’étonne pas que des institutions et des chefs cherchent à réinventer certains sandwichs, comme le burger ou le kebab, tout en essayant de conserver une certaine authenticité. J’ai vu pas mal de chefs reprendre le kebab, par exemple, essayer de le « moderniser ». Nous-mêmes, chez Chëf, on a contribué à une recette de kebab beaucoup plus gastro, avec des produits nobles comme les asperges, pour un livre à paraître. Ce qui est important, c’est que la street food soit accessible à tout le monde.

Ne met-on pas tout et n’importe quoi sous l’étiquette « street food », en France ?

M. S. : Moi, quand j’entends « street food », je pense à l’Asie, où elle trouve ses origines – les marchés, les rues de Bangkok… L’autre jour, j’ai vu une pub qui disait « la street food n’a pas d’adresse », c’est exactement ça. C’est le sandwich que tu chopes au cul du camion, sur un trottoir… Mais en France, elle désigne tout ce qui se mange en take-away, que ce soit sur un banc ou en marchant. Mêmes certains restos tradis l’affichent sur leur vitrine ! Le fait que le terme « street food » soit anglais pose aussi un problème, car beaucoup de personnes confondent junk food et street food. On me demande très souvent : « Mais comment tu fais pour garder la ligne ? » En Asie, sur les marchés, on trouve des plats à base de légumes et sans friture !

B. A. : Pour moi, c’est simplement une cuisine rapide, bonne et généreuse. Il faut que ce soit vite fait, bien fait !

Besma Allahoum, cogérante du kebab Chëf à Lyon.

Besma Allahoum, cogérante du kebab Chëf à Lyon.

© Clémentine Passet

Peut-être qu’on fait l’amalgame parce qu’il s’agit de fast food, au sens littéral ?

B. A. : Notre démarche avec Chëf, c’est justement de prouver que « fast food » ne rime pas forcément avec « junk food », que la street food peut être saine. On propose des produits bien sourcés, travaillés, avec de vraies recettes, tout en respectant la tradition du kebab – c’est très important pour nous. On fait ce qu’on appelle des « kebabs berlinois », avec des légumes grillés, des crudités, de la feta… On monte nos propres broches avec de la viande française, notre pain est livré par un boulanger, on découpe et travaille nous-mêmes des légumes frais, pour en faire par exemple des pickles. On n’a pas de congélateur, tout est ultra-frais ! Et parce que les habitudes de consommation changent, pour que tout le monde y trouve son compte, on a aussi une offre végétarienne avec du seitan maison.

Les options végi, c’est une manière de rendre la street food plus inclusive ?

B. A. : Dans l’imaginaire des Français, la street food c’est forcément de la viande, du gras… Or les gens font désormais davantage attention à ce qu’ils mangent, et veulent plus de transparence.

M. S. : La street food est déjà censée être très inclusive et accessible ! Aujourd’hui, elle est à la mode et il y a des dérives au niveau des prix, alors qu’elle est bon marché à la base. À l’inverse, c’est aussi la raison pour laquelle de grands chefs se mettent sur le créneau : pour démocratiser leur cuisine.

Mina Soundiram, journaliste (notamment pour l’émission « Très Très Bon »)

Mina Soundiram, journaliste (notamment pour l’émission « Très Très Bon »)

© Clémentine Passet

Besma, certains clients vous demandent parfois de justifier le prix de vos kebabs (12,50 € avec frites et boisson maison, ndlr) ?

B. A. : Nos kebabs sont un peu plus chers qu’un kebab classique et on nous a déjà demandé pourquoi. On l’explique par notre sourcing irréprochable et par le travail qu’il y a derrière chaque sandwich, puisque tout est fait maison. On explique aussi notre démarche et notre savoir-faire, on montre les coulisses sur Instagram…

M. S. : Aujourd’hui, la street food doit être aussi irréprochable que la cuisine classique – surtout si elle ne veut plus être assimilée à de la junk food. Ce n’était pas le cas il y a dix ans, quand j’ai commencé à m’y intéresser. Désormais, c’est devenu cool et tout le monde est un peu obsédé par le sourcing. Mais quand je goûte à l’écran un burger à 17 €, je le dis et on en tient compte dans notre appréciation.

Quand on parle de street food typiquement française, on pense immédiatement au jambon-beurre. Hormis les sandwichs au pot-au-feu de Delphine Zampetti à CheZaline, est-ce impossible de traduire la tradition culinaire française en street food ?

B. A. : Les Français sont très attachés au repas à table, d’où l’absence d’une tradition de rue, si ce n’est les boulangeries avec leurs sandwichs typiques, comme le jambon-beurre. Aujourd’hui, en France, la street food vient surtout d’ailleurs ou puise ses influences dans les cuisines étrangères.

M. S. : Certains y sont arrivés : la pita au bœuf bourguignon de Miznon est l’un de mes sandwichs préférés ! Mais vous n’imaginez pas les concepts que j’ai vus… Peut-être que les Français ne sont pas prêts à voir leur cuisine descendre dans la rue, et que les chefs n’ont pas encore trouvé le truc. Je pense aussi qu’en France, la street food, c’est une manière de découvrir la culture et la cuisine d’autres pays. Mais on a aussi le pan-bagnat ou la galette-saucisse, la barquette de frites… Des plats qui viennent d’ici et plaisent à tout le monde.

B. A. : D’ailleurs, notre clientèle est très éclectique, on a beaucoup de grands-parents qui viennent avec leurs enfants et leurs petits-enfants en disant : « J’ai entendu parler de vous dans telle émission, telle radio, ça nous a donné envie. » Pour nous, c’est vraiment un pari gagné de toucher tout le monde et de réconcilier des gens avec le kebab.

Besma Allahoum et Mina Soundiram

Besma Allahoum et Mina Soundiram

© Clémentine Passet

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