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À la table du ramadan

Chorba ultra-tradi, réconfortants pakora tout huileux, petit pot de thiakry onctueux… On ne s’attable pas pour l’iftar avec les mêmes casse-dalles, qu’on soit marocain ou sénégalaise. À Paris pourtant, le ramadan fait se rencontrer les jeûneur·se·s et les saveurs.

  • Date de publication
  • par
    Farah Keram
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© Clémentine Passet

Si vous vous attendiez, en cliquant sur ce titre, à tomber sur l’inventaire exhauskif des mets de l’iftar (le repas de rupture du jeûne durant le ramadan), vous avez fait erreur. Mais si vous vous êtes un jour penché·e sur ce rituel propre à l’islam, alors vous le savez : il existe autant de menus de ramadan que de jeûneur·se·s. La graille de l’iftar, à travers le monde, n’a qu’une seule constante : des dattes, toujours boulottées en nombre impair, avant un dîner tantôt fractionné, tantôt sans lever le pied, mais jamais expédié. À la tombée de la nuit, le Fooding a mis les pieds sous la table de trois chef·fe·s français·es qui cuisinent le ramadan.

SOUHILA MESSAOUDI, LA TABLE OUVERTE

« Quelqu’un a vu le lait caillé ? » demande un bénévole à la cantonnade. À La Table Ouverte, une asso du quartier de la Goutte-d’Or à Paris, on s’affaire en ce moment derrière des barquettes en aluminium fumantes. Souhila Messaoudi est en cuisine depuis 7 heures du matin, derrière ses cinq grosses marmites de chorba frik, une soupe tomatée combinant blé concassé, céleri, courgettes, pois chiches et oignons. Dans la tradition maghrébine, après avoir rompu le jeûne avec le combo dattes-lait (fermenté ou non), on casse généralement la croûte avec une soupe, bourrée de sucres lents et de minéraux. Dans les casseroles de La Table Ouverte, selon les jours, c’est harira algéro-marocaine ou chorba algérienne. Aujourd’hui, Souhila et les bénévoles en font mijoter 500 litres. Compliqué, de gérer la préparation d’un tel festin ? « Une question d’habitude ! » répond la cuisinière en haussant les épaules, elle qui élabore les menus de cette véritable soupe populaire au gré de ses envies, comme elle le ferait pour sa famille.

À quelques rues de là, sur la friche qui fait office de chef-lieu de la distribution alimentaire, on ajoute à l’assiette un couscous sucré aux raisins secs, le seffa, des œufs durs et du pain, avant un sucrage de bec aux yaourts et aux fruits. Des aliments qui tiennent au corps et que les bénéficiaires viennent collecter en file indienne, avant de se disperser dans la capitale.

HAROUNA SOW, LA RÉSIDENCE

À quelques kilomètres de là, à La Résidence, le restaurant du Refugee Food Festival, des pieds de veau mijotent dans un bouillon d’herbes aromatiques – thym, laurier, sel, poivre et vinaigre de xérès. Le chef mauritanien Harouna Sow ajoutera ensuite des edamame et des piquillos à cette préparation qui ne boude pas les morceaux de l’animal souvent délaissés. Ce plat, c’est celui qu’il a si souvent avalé au Sénégal, après une enfance au Mali, mais qu’on retrouve désormais aussi dans les pays d’Afrique de l’Ouest, à la période du ramadan.

Le fumet de la soupe convoque chez le chef des souvenirs d’école coranique. « Les familles voisines nous apportaient leurs restes. On était privilégiés parce qu’on goûtait les repas d’iftar de tous ceux qui nous entouraient », raconte celui qui en a gardé un goût pour la multitude de petites assiettes. « Ce n’est jamais simple de satisfaire tout le monde. J’aime avoir à table au moins cinq plats cuisinés différemment, plutôt qu’un seul grand. » À côté du bouillon, trône un bol de la semoule très parfumée qui compose le traditionnel couscous mauritanien, le mil – qui gagnerait à rejoindre nos placards, selon le chef. Et encore : bananes plantains frites ; déments beignets sénégalais à la farine de blé et poudre de néré, fourrés au thon et à l’oignon rouge ; onctueux thiakry à base de lait ribot et yaourt grec ; et pour la soif, un jus de bissap – le levé de coude préféré de Harouna.

La Table Ouverte

MUNAZA
MUHAMMADMEET MY MAMA

Champigny-sur-Marne, au numéro 104 d’une petite rue de la zone pavillonnaire. C’est ici que vit Munaza Muhammad, la cheffe franco-pakistanaise de Meet My Mama, un service traiteur engagé qui convoque les talents de cuisinières a priori sans lien avec la restauration. Le plan de travail est bondé de plats colorés, qui dégagent des effluves aguicheurs. « C’est le minimum requis sur une table pakistanaise », prévient la cheffe. Munaza est née en France, mais sa cuisine est celle de Karachi et du Pendjab. « Très tôt, dans les familles pakistanaises, les petites filles sont invitées à mettre la main à la pâte. Puis, à peine plus âgées, elles remplacent aux fourneaux leur mère partie travailler. »

Pêle-mêle sur sa table : galettes frites à base de pommes de terre, farine de pois chiche, oignons et épinards ; kiffants aloo ke samosee (le nom originel des samoussa) ; croustillants paapri, sortes de chips dérivées de la pâte à samoussa ; salade de pois chiches chana chaat ; et chapli kebab, une bombesque galette de viande épicée qui a pris la place du steak au Pakistan. Munaza suit la recette du Nord du pays, celle qui mélange viande de bœuf, oignons, tomates, ail, gingembre, menthe, coriandre et une flopée d’épices. Dans chaque plat, l’ingrédient préféré de la cheffe, qu’elle manie avec finesse, mais sans modération : le piment rouge. Et pour le dessert ? Une salade de fruits épicée au chaat masala – un mélange de poudre de mangue séchée, cumin, sel noir, coriandre, gingembre, poivre noir et poudre de piment, dont sa belle-mère remplit ses valises à chaque retour au pays.

Pour cette édition 2021 du ramadan, pas de grandes tablées ni d’invitations de dernière minute, pas de joyeuses réunions entre bénévoles ni de repas simples partagés par celles et ceux qui ont autant besoin de chaleur humaine que de celle d’une chorba. Pourtant, derrière les trois portes que le Fooding a poussées, qu’il s’agisse d’un restaurant au rideau baissé, d’une friche à l’angle de deux rues ou d’un pavillon familial dans un quartier calme, elle était là, bien présente : une tacite convivialité.

En arabe, le prénom de Farah Keram, l’autrice de cet article, signifie « joie ». Un signe, pour une vie passée à dealer des msemen et des kalb el louz avec celles et ceux qui l’entourent.

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