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Au cinéma, à voir et à manger

Quand le cinéma en fait tout un plat, il nous sert sur un plateau les pires clichés de la restauration – et ses plus belles émotions.

  • Date de publication
  • par
    Ava Cahen
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Et si Ratatouille était le meilleur film sur la cuisine jamais sorti ?

© Ratatouille / Pixar

En salle ou sur écran plat, le cinéma a toujours eu sa place à table, et une place de choix. Même muet et balbutiant, il observait avec un œil neuf les mangeur·se·s (Le Repas de bébé, Louis Lumière), avant de s’inviter aux repas de familles dysfonctionnelles (Festen), dîners en bande organisée (Reservoir Dogs) et tête-à-tête salissants (La Belle et le Clochard). Salles à manger et restaurants ont été le théâtre de scènes cultes : rupture dans Scarface, règlement de comptes dans Coup de tête, demande en mariage dans Jeux d’enfants (entre autres), hold-up dans Pulp Fiction et même orgie dans Salò ou les 120 journées de Sodome. Notez que dans les cuisines domestiques, il s’en passe de belles aussi. On s’y fait des confidences (Cuisine et dépendances), on y danse (Sur la route de Madison), on y fout le feu par inadvertance (Viens chez moi, j’habite chez une copine) ou on y fait l’amour à même la table, sans l’avoir débarrassée (La Grande bouffe). Quant à celles des restaurants, elles ont été le décor de séquences particulièrement spectaculaires, comme la fusillade musclée de Nikita ou le cache-cache avec les vélociraptors de Jurassic Park. Moins gavées d’explosions, nombreuses sont les péloches qui ont croqué la gastronomie française : Vatel, Au petit Marguery, Les Saveurs du palais, Comme un chef et plus récemment Délicieux, qui met en scène un cuistot à l’aube de la Révolution française. Parmi les célèbres voraces du septième art, Louis de Funès, tour à tour chef (Le Gentleman d’Epsom), patron d’un restaurant étoilé (Le Grand Restaurant), directeur d’un guide gastronomique (L’Aile ou la Cuisse) et agriculteur (La Soupe aux choux). Bref, le cinéma n’en perd pas une miette.

© Ratatouille / Pixar

Même dans la SF, Kubrick filme le tristoune repas lyophilisé des cosmonautes de 2001, l’Odyssée de l’espace. Peut-être, avant tout, parce que l’acte de manger est indissociable de l’existence des personnages. C’est un gage d’authenticité, le reflet d’un réel banal (Jeanne Dielman épluchant des patates chez Akerman), ou une manière d’illustrer voire de révéler un trait caractéristique (Le voyage de Chihiro, Marie-Antoinette). C’est le cas chez Scorsese, dont les affranchis débarquent en pleine nuit, les mains encore sales de leur basse besogne, chez la maman de Tommy. Au menu : une belle plâtrée de spaghettis tomatés, sa spécialité. Ce qui fait le sel de cette séquence, c’est que ceux qui sont pourtant loin d’être des enfants de cœur se révèlent sous une autre lumière : non plus comme des voyous, mais comme des petits garçons sagement attablés. Dans sa cuisine, c’est la mamma le parrain, et les gangsters, rien que des gamins. Même scénar’ chez Paul Thomas Anderson, qui fait dans Phantom Thread le portrait d’un couturier maniaque, la peau sur les os et, sur la face, l’expression permanente du dégoût. De son costume, pas un fil ne dépasse, si ce n’est peut-être lorsqu’il hérite du surnom de « garçon affamé » après avoir commandé un petit déj’ gargantuesque : des scones flanqués de crème crue, de beurre et de confiture, un welsh au lapin toppé d’un œuf poché, des œufs brouillés, du bacon grillé, du thé. Et quelques saucisses.

Vous salivez ? C’est normal, le cinéma a ses propres recettes pour vous mettre l’eau à la bouche. Si la simple évocation du festin de Babette (blinis Demidoff, cailles en sarcophage de fois gras, sauce aux truffes, salade d’endives aux noix, baba au rhum…) suffit à faire tachycarder, c’est leur préparation et leur défilé à table qui déclenchent l’émotion. À l’écran, tout compte : valeurs de plans, découpage, montage, rythme, musique, bruits de couverts… et même de bouche. Car il ne s’agit pas seulement de zoomer sur une assiette fumante (n’en déplaise aux apprenti·e·s cinéastes d’Instagram) pour vivre un repas par procuration. Quand le cinéma y parvient, c’est qu’il a réussi à capter le plaisir, le trouble ou la gêne de la dégustation – comme dans Ratatouille, où chaque assiette convoque souvenirs, humeurs, odeurs. Jamais ragoût de légumes (ni rat, d’ailleurs), ne nous aura paru si délicat.

© Ratatouille / Pixar

Dans le ventre de Gusto, le resto imaginé par Pixar, on entrevoit également des frigos, des fours, des pianos, des louches, des casseroles, des vestes blanches et une répartition en brigade à l’ancienne – et à la dure. Ratatouille nous fait découvrir, à travers les yeux d’un novice, les coulisses d’un grand restaurant. Il raconte combien la cuisine est un lieu de passions, de transmission. C’est avec Rémy et Colette que Linguini apprend les bases du métier, mais surtout à s’émouvoir des produits, des plats, du fruit de son propre travail, aussi. Ce que Ratatouille réussit, d’autres films le loupent – pas étonnant qu’on les appelle des navets. À l’instar d’À vif !, où Bradley Cooper joue un chef en perte de vitesse, s’éclipsant rapidement des cuisines pour broyer du noir dans son appart’ ou dans les bars. Soit des scènes peu alléchantes pour une vision cadenassée du métier, qui ne serait que souffrance et compétitivité. À choisir, autant plonger bouche la première dans la mièvrerie et le caractère excessif des chef·fe·s du Festin Chinois, où la découpe d’un saumon relève du sport de combat – sueur et bruitages de film d’action à l’appui. C’est dire ce que le cinéma parvient à nous faire avaler.

Nouvelle boss de la Semaine de la critique cannoise, Ava Cahen croque le cinéma pour Canal+ et France Inter, et a signé avec Cheforama (Nouriturfu) un bouquin de recettes qui crèvent l’écran.

Cet article a été initialement publié dans le guide Fooding 2022. Il vous a mis l’eau à la bouche ? Dévorez tous les autres reportages, enquêtes et récits du guide en le commandant sur notre e-shop ou dans votre librairie préférée.

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