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« Le défi aujourd’hui, c’est de produire malgré le réchauffement climatique, et sans l’aggraver plus encore. »

Tension et températures montent, prix et forêts flambent. Les défis de notre système agricole sont gros comme une maison qui brûle : comment y faire face ? Dans Plans de Tables, la série gastrophonique du Fooding, un agro-futurologue, une nutri-éclaireuse et un néopaysan cultivent ensemble leur vision de la food de demain.

  • Date de publication
  • par
    Lou-Li Nexer Ho-Dinh
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Repas réalisé par Zélikha Dinga et Monika Varšavskaja

© Louise Monlaü


« J’ai grandi dans le 12e arrondissement de Paris, mais être agriculteur, ça a toujours été un rêve d’enfant. » Xavier Fender sourit, le public de cet ultime rendez-vous de Plans de Tables aussi. Ce titi a fait quelques détours (ingé puis paysagiste) avant de finir par adopter quatre hectares de champs et de serres en Seine-et-Marne. Rêve d’un peut-être, mais pas de tous : « Il y a de moins en moins d’agriculteurs. Il faut démocratiser et normaliser ce métier. Aujourd’hui, 15 à 20 millions d’hectares sont goudronnés », s’inquiète le maraîcher. D’autant que, comme le détaillait déjà le précédent épisode du podcast, nous serons dès novembre 2022 huit milliards d’êtres humains à grignoter toujours plus d’espace et de vivres. « Nourrir autant de personnes, ce n’est pas impossible en soi. Le défi aujourd’hui, c’est de produire malgré le réchauffement climatique, et sans l’aggraver plus encore », expose Bruno Parmentier, son voisin de bonnette, ingénieux économiste et auteur de Nourrir l’humanité (Éditions La Découverte). Manon Dugré, la troisième convive, coordinatrice de la chaire ANCA d’AgroParisTech, résume la problématique : « Dans le futur, il va falloir produire plus. Le problème, c’est comment produire plus avec moins ? »

En France, l’été dernier fut une fois de plus agité par les mots « zones rouges », « sécheresses » et « incendies ». « On sait que six des neuf limites planétaires fixées par les experts internationaux ont déjà été dépassées, l’une d’elle étant la surutilisation d’eau douce. Il ne faut pas oublier que l’agriculture est liée au vivant, et que 45 % de notre eau lui est consacrée. Sans eau, on n’a rien dans nos assiettes », rappelle Manon Dugré. Les paysans sont donc les premier·ère·s à devoir s’adapter à ces nouvelles contraintes – c’est le cas de Xavier, dans sa ferme Les Limons de Toulotte. « Il existe des techniques pour maintenir l’eau dans le sol et éviter qu’elle ne s’évapore. Chaque ferme doit s’adapter à son environnement sur et sous terre, à ses conditions hydrologiques, écologiques… On ne s’installe pas partout de la même manière. Moi, j’ai la chance d’avoir une terre limoneuse qui me permet de garder l’eau, je n’ai donc pas besoin d’aller en capter dans les nappes phréatiques. » C’est cet état d’esprit qui donne de l’espoir à Bruno Parmentier : « Ce qu’on enseigne depuis cent ans dans les écoles agricoles est en train de se casser la figure. Avant, on luttait contre la nature, maintenant, on va enfin pouvoir faire connaissance et créer une alliance. »

Pour l’ancien directeur de l’École supérieure des agricultures, la méthode biologique est l’exemple même de cette inclination. « Le bio est à l’agriculture ce que la versification est à la poésie. C’est parce que certaines personnes déclarent “chez moi, c’est zéro pesticide” qu’on se retourne vers les autres pour leur demander “tu es sûr d’avoir besoin d’autant de pesticides ?”, c’est un cercle vertueux ! » Bruno Parmentier reste toutefois lucide : « Il n’y aura jamais 100 % de bio. » En effet, la réalité de cette agriculture est plus aléatoire, représente plus de travail et souvent moins de revenus, puisque la rentabilité est moindre. Si c’est le choix que Xavier Fender a fait, il souligne toutefois que « certes, le légume est vendu plus cher, mais beaucoup d’externalités ne sont pas incluses dans les prix. La santé (des mangeur·se·s qui ingèrent des pesticides, ndlr) est une chose qui va finir par coûter aux contribuables ».

Même son de cloche du côté de Marion Dugré, qui s’attache à montrer que « l’alimentation durable peut être désirable ». Car outre le renouveau des techniques agricoles, au bout de la chaîne, il y a nous, les consommateur·rice·s. Et lorsque nous achetons un produit, nous achetons aussi le monde qu’il soutient. « On est dans un pays où, au moment de faire les courses, ce n’est pas Carrefour ou Auchan qui choisit notre menu du soir. Il ne faut pas sous-estimer notre pouvoir. » Sur le compte Instactiviste @jemangepourlefutur, Manon Dugré et son équipe prouvent que manger durable est bien plus à notre portée que nous ne l’imaginons. « On dit qu’un régime durable, c’est cinq fois plus cher qu’un régime qui ne l’est pas. Or, on n’est pas obligé de dépenser plus, et ce grâce à de petits changements : augmenter la consommation de légumineuses, réduire celle de viande, de boissons sucrées et alcoolisées… » La question de la barbaque fait d’ailleurs l’unanimité chez nos trois penseur·se·s : « Il est urgentissime que les gens cessent de manger trop de viande. Il faut 12 kilos de végétaux pour produire un kilo de bœuf. Il faut passer du “bœuf carottes” au “carottes au bœuf”… Je suis sûr qu’on peut en faire un truc très Fooding ! » plaisante Bruno Parmentier.

Adopter une alimentation flexitarienne permettrait de diminuer notre empreinte carbone de presque 30 %. C’est ce que Manon Dugré explique à travers l’idée de diversification : « Nous cultivons plus de six mille espèces différentes, pourtant, nous en consommons seulement une dizaine de catégories. Notre répertoire s’est amenuisé (…) Le problème, c’est qu’on met tous nos œufs dans le même panier. » Avant d’ajouter : « Il faut valoriser la diversité alimentaire pour exercer moins de pression sur les stocks, pour éviter la dépendance mondiale. Par exemple, le blé résiste très mal à la sécheresse et le riz émet beaucoup de méthane lors de sa production, alors que l’épeautre résiste bien à la chaleur… » Ce principe s’applique aussi aux agriculteurs, renchérit Xavier Fender : « Ma diversité de légumes est ma sécurité : si j’en perds une ou deux variétés, ma culture n’est pas en péril pour autant. Toute ma production se base sur une logique de territoire et de diversification. » Si le futur de l’alimentation s’annonce complexe, Bruno Parmentier se veut tout de même optimiste : « L’homme et la femme n’ont pas dit leur dernier mot. On va comprendre la nature, ça va être passionnant ! Il y a plein de super changements qui vont arriver. On va arriver à terminer le job. »


Plans de Tables est un podcast du Fooding, disponible sur toutes les plateformes d’écoute.

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