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La mère du farm-to-table a quelques idées pour la rentrée de vos marmots

Aux manettes du restaurant californien Chez Panisse, elle a allumé dans les années 70 le feu d’une révolution culinaire qui a changé pour toujours la gastronomie américaine et internationale. Pionnière du mouvement farm-to-table, la cheffe américaine Alice Waters revient, à 78 ans, sur ses convictions en matière d’éducation alimentaire, l’histoire de l’Edible Schoolyard Project…

  • Date de publication
  • par
    Elisabeth Debourse
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© Amanda Marsalis

Le nom de son resto a le charme des histoires de Pagnol et le goût du bon gras, mais Chez Panisse est surtout le théâtre d’un soulèvement gourmand devenu, cinquante ans plus tard, la religion de toute bonne table qui se respecte – ainsi que la planète. Depuis un quart de siècle, grâce à l’Edible Schoolyard Project, l’instigatrice du courant farm-to-table et restauratrice francophile Alice Waters fait des adeptes jusque dans les écoles, où elle tient classe au potager et en cuisine. Pour le Fooding, elle revient sur cette expérience éducative qui a inspiré sa filleule française Camille Labro, journaliste et cofondatrice de l’asso L’école comestible.

Alice, vous rappelez-vous de ce qu’on servait à la cantine, quand vous étiez enfant ?

À vrai dire, ma mère cuisinait littéralement tout ce que je mangeais : soit elle préparait ma lunch box, soit je rentrais à la maison pour déjeuner. Je ne sais donc pas exactement ce qu’il y avait à la cantine… seulement que c’était brun et blanc !

Quelques décennies plus tard, en 1995, vous avez l’idée de reprendre un terrain abandonné sur le site d’une école de Berkeley pour le transformer en potager et donner des cours de cuisine aux élèves… Dans quel terreau a poussé The Edible Schoolyard Project ?

Il fallait que ce soit une vieille école, parce qu’elle devait avoir été construite sur une grande bande de terre. La majeure partie du terrain était couverte de ciment, alors on a creusé… Mais rien n’aurait été possible sans le principal de l’école. Il voulait que les élèves apprennent la valeur de la nourriture, le sens de la communauté et l’équité. Pour lui, ce projet avait donc un vrai potentiel éducatif, et il était prêt à prendre le risque de le monter pour sublimer son école. Il nous a autorisés à y inviter des cuisiniers et des associations qui n’étaient pas agréés, mais qui aimaient les enfants et savaient comment leur apprendre des choses, même s’ils n’avaient pas suivi de formation éducative. C’était très inhabituel pour l’époque. Après Berkeley, on a testé le concept dans sept autres établissements, histoire de voir si les mêmes choses pouvaient se reproduire ailleurs. On est allés à New York, Los Angeles, dans des régions plus chaudes comme la Nouvelle-Orléans. Ça nous a prouvé que partout où on implantait The Edible Schoolyard Project, celui-ci s’adaptait, se fondait dans la situation et créait des communautés.

Qu’avez-vous appris de cette expérience, vingt-cinq ans plus tard ?

Que ça fonctionne ! Ça m’a donné la force et le pouvoir de dire, avec toute ma conviction, que les enfants aiment manger ce qu’ils ont fait pousser, qu’ils aiment avoir classe dans le potager, et que lorsqu’ils finissent par être diplômés, ils sont tous des environnementalistes qui savent cuisiner. Et je pense qu’ils le feront toute leur vie. L’expansion du réseau, avec désormais 1 650 écoles participantes dans le monde, est aussi la preuve que c’est une idée universelle. Bien sûr, elles n’ont pas toutes la possibilité d’avoir un potager et une cuisine, ou de servir des repas grâce à ceux-ci, mais le fait qu’elles aient entendu parler du projet et eu envie de l’expérimenter à leur façon signifie que l’enjeu est évident.

À votre avis, pourquoi la cuisine ou la culture d’un potager ne sont pas des matières enseignées à l’école ?

Nous, les Américains, n’avons pas vraiment l’habitude de manger des choses qui sont nutritives, et nous cultivons pour la quantité, pas pour le goût. Sauf qu’un cours de cuisine à l’école, ça sert autant à bien manger qu’à proposer une expérience éducative immersive. On peut apprendre les maths ou l’anglais dans un potager, si on veut ! C’est comprendre et avoir une vue d’ensemble sur la culture et l’éducation…

Une cuisine et un jardin pourraient donc être une école ?

Exactement ! Il n’y a rien besoin de plus.

Qui seraient alors les professeurs ?

On doit définitivement prêter une oreille plus attentive à ce que les agriculteurs qui travaillent à régénérer la terre ont à dire. Ils ont été porteurs de tant d’espoirs pour moi, en ce qui concerne la santé et le climat. Quand on a commencé le projet, on a eu la chance que le premier agriculteur qu’on ait rencontré soit de cette trempe. À l’époque, je ne savais rien de ce qu’il faisait – il avait juste d’excellentes carottes ! D’une manière générale, on a appris tellement plus en étant dehors, au contact de la nature… Tout à coup, les élèves apprenaient à interagir avec leur environnement à travers leurs sens, en faisant. Je pense que l’une des choses très importantes, c’est que cela permet de construire une certaine confiance – une confiance dans la nature.

D’habitude, les enfants sont ceux à qui on apporte de la nourriture, ceux pour qui on la prépare… Concrètement, comment peut-on les rendre acteurs de leur alimentation ?

Ils ne doivent pas forcément cuisiner, mais ils peuvent participer à la préparation du repas en élaborant un petit menu, par exemple, ou en mettant la main à la pâte pour une partie du dîner. En faisant, ils développent une forme de responsabilité. On peut aussi les faire jardiner. Quand ma fille était enfant, j’ai planté avec elle des herbes qui étaient belles et qui sentaient bon. Dans le jardin, il y avait un petit tipi dans lequel elle allait se réfugier pour manger les fruits et légumes qu’elle avait cueillis. Il ne faut pas un grand potager, ça peut être minuscule – il suffit d’un endroit auquel ils puissent se raccrocher. On peut aussi simplement les emmener visiter des fermes autour de soi. Une fois qu’on comprend à quel point il est compliqué de cultiver quelque chose, que c’est un travail difficile qui implique notamment de travailler sous le soleil, de cueillir au moment opportun, on comprend pourquoi il coûte plus.

Les enfants peuvent-ils être, à leur échelle, des agro-activistes ? Et comment ?

Totalement. Dans un premier temps, en s’interrogeant sur ce qu’ils mangent, si c’est cultivé localement, naturellement, mais aussi ramassé par des personnes dont on prend soin, dans une exploitation qu’on a envie de soutenir. Il n’y a pas que le produit qui est important !

Pensez-vous que l’alimentation est politique ?

Plus que jamais. Tout le monde ne vote pas, mais tout le monde mange. Et aujourd’hui, il faut manger avec détermination. Si nous le faisions tous, nous pourrions transformer notre agriculture en une nuit ! Et ce serait la plus importante décision politique de notre époque…

Poursuivez la discussion avec la journaliste Camille Labro, le cantinier Pierre-Yves Rommelaere et le chef Pascal Barbot dans le deuxième épisode de Plans de Tables, le podcast du Fooding animé par Céline Maguet et disponible sur toutes les plateformes d’écoute.

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