Jus de cervelle

Avant que le laid ne déborde…

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  • par
    Alexandre Cammas
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Autant il serait vain de mettre le bon en équation, autant on pourrait s’entendre sur une définition régionale du pas bon. Même handicap pour le beau : personne ne naît beau. Mais chacun apprend vite, à l’école, s’il est né pas beau…
Le Zemmour et le Ménard ont sans doute beaucoup subi, et probablement jamais douté de leur laideur. J’ai croisé le premier au « Grand Journal », saison 1. Il y tenait chronique avec le Barbier. Beaux ni l’un ni l’autre, le Barbier avait sur le Zemmour l’avantage de l’écharpe rouge.
C’est important, une écharpe rouge. Aussi important qu’une paire de Repetto (le Gainsbarre), un polo noir (l’Ardisson), une Carla Bruni (le Sarko).
J’ai aussi beaucoup croisé le Ménard dans le 14e arrondissement avant son grand déménagement. Gueule ordinaire, zéro charisme, pas terrible, jusqu’à la débanalisation.
Les moches et méchants ont toujours existé. L’Adolf était le plus laid de tous, ce qui fit de lui un grand chef. Louis-Ferdinand était moins gracieux que Vernon Sullivan. Et on serait tenté de dire que le Gollnisch, comme le Mégret, n’ont pas été gâtés par la nature. Pas plus que la Lévy, le Houellebecq, le Nabe ou le Pingouin…
Quand le Zemmour valide la théorie selon laquelle de jeunes prolétaires blancs, éduqués dans l’univers du féminisme occidental, ne peuvent rivaliser avec la virilité ostentatoire de leurs concurrents noirs ou arabes, comment ne pas entendre ici la complainte d’un petit blanc tout pou et tout jaloux ?
On ne le dit pas assez, mais le monde a un vrai problème avec ses laids. C’est un fait, c’est comme ça, et les querelles autour des chiffres sont vaines ! Il suffit de sortir pour voir que les belles personnes aident plus facilement les non-voyants à s’orienter, cèdent sans discuter leur place dans le bus, ne prennent jamais la dernière chips dans le bol !
Régularisez tous les laids du monde, et il n’y aura plus de complexés, plus de petits chefs, plus d’électeurs du prochain FN, beaucoup moins de problèmes !
Et si ça doit coûter trop cher en crèmes de beauté et en liftings pour Ladies and Gentlemen Gaga (le Finkielkraut et la Bardot, au hasard), eh bien, il n’y aurait qu’à demander à celles et ceux qui portent beau de faire un effort de conciliation, en s’enlaidissant, par exemple ? Ainsi, RTL pourrait tendre le micro au Zemmour, Le Fig Mag et Albin Michel pourraient le publier, Libé et Le Monde mettre à la une son dernier livre… Bref, faire ce qu’ils font déjà, pour que les laids ne se sentent plus honnis, pour que la France recouvre enfin son unité, et la paix des braves…
« Sauf que ton truc ça ne marche pas, Alex !… Regarde : Dieudo est très charismatique. Et puis Marine Le Pen, Philippe Katerine la trouve sexy de dos… Bref, ta théorie sur les laids est aussi merdique et puante que la théorie de Zemmour sur les étrangers. Tu vas devoir trouver autre chose ! »
Ou rien ?… J’ai le droit ?
Quel superpouvoir, quelle malhonnêteté intellectuelle force donc, à gauche, à droite, à l’extrême centre, à faire comme si tous ces raccourcis, toutes ces binarités tellement pratiques n’étaient pas des dénis de réalité.
Combien de mensonges cachent chacune de leurs vérités ?
Un super pouvoir n’implique-t-il pas de super responsabilités ?
A l’heure où la multiplicité des exceptions infirme tout espoir de règle juste, n’y a-t-il pas urgence à oser dire que la grande cuisine nationale, ça ne marche plus ? Que la plus belle carte de France ne peut être que l’expression d’une variété infinie de recettes et de petites cuisines appliquées ?
« Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? » s’interrogeait De Gaulle… S’il revenait faire un tour, que penserait-il alors d’un pays comptant désormais plus de cent frometons supplémentaires (et des qui puent), sans compter les mozza, feta, stilton, cheddar, cheese au lait de soja et autres Vaches à boire ?…
Et pendant ce temps, pendant que notre Président fait le plateau de fromages, que font donc les cuisiniers masqués ?
Ils veillent. S’accommodent et accommodent. Comme Passard, qui explique à Matthieu Jauniau-Dallier (p. 23), que si le navet, la rhubarbe et les roses arrivent à maturité ensemble dans le jardin, c’est que ça peut marcher dans une assiette. Comme Kamal Mouzawak qui, au Liban, dans ses restaurants, a décidé de faire de la cuisine une arme de réconciliation massive (p. 30).
Comme le chef de ce yacht pour milliardaire cherchant une banane en pleine mer pour ne pas fâcher un tycoon…
Comme toute cette vague de chefs japonais francophiles, s’échinant à marier nos deux cultures dans d’ambitieux restaurants un peu partout en France.
Comme François Simon, le célèbre critique masqué, remettant du liant dans la sauce bien démontée de la vie des chefs les plus barrés (p. 19).
Comme Adeline Grattard, Grégory Marchand, Thierry Marx ou Cyril Lignac, qui acceptent de répondre à l’invitation d’Atabula et du Fooding pour témoigner dans le cadre de la conférence « Cook it Cool » (17 novembre prochain), afin que les petits chefs cessent de traumatiser les cuisines (p. 29).
Comme la bande de Root & Bone versant un peu d’hipsterie dans la gastronomie (p. 32), nous apprenant, au passage, à rire des mauvais délires de chefs autolâtrés…
Comme ce Guide enfin, qui n’a eu d’autre ambition que de chasser le goût de l’époque, y compris dans ses zones d’ombre, et de mettre un peu de fun et de folie en ces périodes agitées.
Cela devrait se goûter, dans notre palmarès 2015, sans doute le meilleur en quatorze ans, et nos 800 adresses préférées (pour le rab de 400 adresses supplémentaires, rendez-vous le 1er janvier sur vos applis !).
Bon Guide 2015 !

Alexandre Cammas

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