Les années se suivent et ne se ressemblent absolument pas, depuis quelque temps : après une pandémie éreintante, voilà qu’un conflit dramatique à l’appétit mondial nous tombe sur le coin de la fourchette. Alors, dans une époque où chaque jour apporte son lot d’augmentation du prix du blé et des températures en Antarctique, les noceur·se·s cherchent leurs propres moyens de lutter.
Bien sûr, la table peut sembler un lieu un brin futile pour s’engager, compte tenu des événements. Après tout, que peuvent changer quelques démonstrations culinaires et jolies assiettes, aussi tapageuses soient-elles ? Au Fooding, on en est certain·e·s, la réponse est : beaucoup. De tout temps, pas une cause n’a été défendue, pas une révolution n’a été menée sans s’attabler ensemble. Des théières des suffragettes aux tables à tréteaux montées aux frontières de l’Ukraine, on nourrit bien plus que des corps : notre colère, notre faim de justice et, ultimement, le changement.
C’est pourquoi les restaurants sont des lieux de prise (ou de renversement) du pouvoir. C’est également la raison pour laquelle les recommandations des guides gastronomiques comme le Fooding sont politiques.
Notre dernier palmarès, par exemple, met en lumière le travail et le talent de neuf femmes et onze hommes – une quasi-parité. Pourtant, avant de sillonner la France pour les dernières enquêtes de tables de genre, bars d’auteur, chambres de style, caves de soif et commerces de caractère, il n’y avait eu ni doutes ni réunion de crise à la rédaction. C’était certain : cette année comme les autres, il ne fallait ni tricher ni batailler pour primer le genre féminin – et ce sur la base du goût et de la qualité des assiettes, toujours. Et quand bien même cela se serait révélé difficile (à nouveau, ça ne l’était pas), il était de notre rôle, en tant que guide culinaire, de pister les femmes et les personnes minorisées. Pour leur offrir une meilleure représentation et représentativité, pour leur donner toute la légitimité et la reconnaissance qu’elles méritent, pour que leur place dans toutes les cuisines de France cesse d’être (re)mise en question, pour que d’autres se lancent en se disant qu’elles ne sont pas (et ne seront jamais) seules.
Il ne s’agit pas non plus de « discrimination positive », qui laisserait entendre que certains hommes, à compétences égales et supérieures, seraient lésés. Il s’agit de veiller, sonder, scruter, chercher, fouiller, avec l’aide de journalistes et chroniqueur·se·s incarnant plus de diversité, pour forcément finir par trouver. Car la gastronomie française a plus d’un visage. Peut-être a-t-elle parfois moins d’argent, moins de temps, moins de contacts et moins de confiance, mais pas moins de talent. Le montrer est en notre pouvoir. C’est même notre responsabilité.
Le Bureau du Fooding