Demain la veille

De nouveaux horaires à dîner debout

Pour décrire les transformations à l’œuvre dans le secteur de la restauration, mieux vaut éviter les tabous. Au Fooding, on a pu observer un détail qui n’a l’air de rien… mais qui semble en dire long sur l’avenir du restaurant : la mutation des horaires de service et des plages de réservation. Explications sur cette tendance qui annonce (peut-être ?) une révolution.

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© Hans Isaacson

Le secteur est pour le moins tendu. Depuis la crise covidienne, partout en France, les professionnel·les de la restau’ peinent à (re)trouver un niveau d’activité rassurant. À cela, plusieurs raisons sont invoquées : le télétravail, la livraison et la vente à emporter, la hausse des loyers, l’augmentation du coût des matières premières et de l’énergie, la baisse du pouvoir d’achat liée à l’inflation… mais ces problèmes ne sont pas seulement circonstanciels. Ils révèlent les lacunes structurelles d’un milieu perclus de rhumatismes qui a mis (trop ?) longtemps à changer certaines de ses vieilles habitudes destructrices – violences systémiques, temps de travail extensible à merci, problèmes de formation, manque de reconnaissance… et se retrouve aujourd’hui à gérer des défis (manque de personnel, réduction des marges, désaffection croissante du public) qui ressemblent de plus en plus à une montagne.

Dîners tôt et main sur le chrono

Pour faire face à toutes ces problématiques, les restaurateur·rices optimisent. À commencer par les services. En mettre deux le soir et les calibrer pour permettre aux employé·es de ne pas rentrer trop tard. Selon les chiffres de la plateforme de réservation Zenchef, on constate qu’à Paris (mais la tendance est sensible dans toute la France), de plus en plus de lieux (47 % en janvier 2025) sont ouverts avant 19h (versus 30 % en janvier 2020) et proposent deux services : de 18h30/19h à 21h puis de 21h à 22h30/23h. Il faut donc manger tôt, ne pas trop hésiter sur le menu et avaler son dessert d’une traite. Vous discuterez plus tard !

Dans la même veine optimisante, pour éviter d’avoir à embaucher du personnel en coupure, on remarque que de plus en plus de restaurants, notamment les néobistrots, sont ouverts uniquement le soir. Si bien qu’a été créé le tag « ouvert le midi » (plutôt l’apanage des cantines et coffee shops) pour les restaurants du guide Fooding, alors qu’en même temps, le tag « faim de nuit » disparaissait progressivement du paysage. Pour une population citadine habituée des bistrots ouverts du matin au soir sans discontinuer, le changement est de taille. Heureusement, les néocafés (du coin) résistent avec brio. Mais partout ailleurs, ce que l’on croyait réservé à une clientèle touristique anglo-saxonne (dîner à l’heure de l’apéro !) se généralise et s’impose même aux plus traîne-savates d’entre nous. Tremblez, les kiffeur·ses ! Désormais, il va falloir manger quand on vous le dit et en pas plus d’une heure et demie.

Une nouvelle ère du service

Si ce temps passé à table est désormais imposé aux client·es pour optimiser les coûts, on pourrait donc penser (et se réjouir !) que le temps libéré en conséquence profite aux vies de famille des restaurateur·rices et qu’ils peuvent (enfin !) réaliser ce vœu pieu des années Covid, où l’on rêvait d’un quotidien moins burn-outeur. D’un autre côté, on ne peut pas nier que ces évolutions comble la fuite d’un personnel au bout du rouleau, qui s’est mis lui aussi à rêver de vies moins écrasantes et préfère lâcher les coupures et rallonges. En conséquence, on touche à la structure d’un secteur qui doit employer de plus en plus d’intérimaires et déléguer le service à un personnel moins bien formé. La qualité du service baisse, et ce bien au-delà de la simple problématique des horaires. Elle concerne aussi l’informatisation de toutes les étapes de la réservation (prise en charge, rappel) et la disparition progressive de la pédagogie en salle au profit de QR codes. Vous avez d’autres questions ? Flashez, cliquez, mangez, payez.

Simple rationalisation, direz-vous. Pourquoi tout de suite crier à la révolution ? Sauf que depuis l’invention du restaurant, ce sont plutôt les lieux qui se sont adaptés aux demandes des consommateur·rices et non l’inverse. Or, ces changements induisent des bouleversements dans la manière de vivre ce lieu de sociabilité, dont le principe fondateur était de prendre soin de chaque client·e comme d’un roi ou d’une reine. Puisque c’est la crise, il faudrait maintenant que les client·es prennent soin des restaurants, en plus (déjà !) de venir et de payer l’addition. Est-ce un renversement du « care » pour le meilleur ou pour le pire ? Difficile à dire. La tendance de notre époque allant déjà vers un repli sur soi, il n’est pas étonnant de voir grossir, en réponse aux contraintes qui pèsent sur les restaurants, la tendance déjà bien réelle du dîner chez soi, entre soi. Et si tout ça se confirmait, ça ressemblerait vraiment à un début de révolution.

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Le Fooding est un guide indépendant de restaurants, chambres, bars, caves et commerces qui font et défont le « goût de l’époque » en France et en Belgique. Mais pas que ! C’est aussi un magazine où food et société s’installent à la même table, des événements gastronokifs, une agence événementielle, consulting et contenus qui a plus d’un tour dans son sac de courses…

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