Demain la veille

Les coffee shops passent au filtre régionaliste

Vous reprendrez bien un peu de latte à l’igname ? Déviant en partie de la norme très codifiée des coffee shops les plus en vue, de nouvelles adresses réveillent le genre avec des cartes plus « régionalistes » – souvent empreintes d’influences asiatiques. De quoi se démarquer et revendiquer une autre culture du café, mais aussi réclamer plus de respect pour certaines communautés culinaires. De là à signer la fin du coffee shop mondialisé ?

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© Kapé

Pan con tomate y café, pandesal et ube latte, cannelé hojicha et Pontomoka… Aurait-on atteint le stade du ras le bol de café au lait ? En régionalisant leur carte à boire et à snacker, les hispanique Cortado, philippin Kapé et japonais Pontochoux Café se sont de facto différenciés de la marée de coffee shops immaculés qui déferlent actuellement (et avec un certain succès, il faut le noter) sur les gosiers français – et dont plus de 100 adresses sont recommandées à ce jour par le guide Fooding. Une poignée d’exceptions qui confirment la règle du banana bread et flat white ? Certes, cette offre indéboulonnable a encore de beaux matins devant elle, mais avec une dizaine de coffee shops régionalistes publiés dans les pages de notre édition 2025 (intitulée « Françaises, Français »), difficile d’ignorer le phénomène.

Des cartes plus métissées mais une esthétique globalisée

Ils se nomment Los Andes, Onoul, Caphette, Ola’s Café, Laïzé et Fauna et sont colombien, coréen, vietnamien, anglo-ouest-africain, taïwanais… et même (vraiment) scandinave, là où le décor a été planté. Ils servent du café de qualité, certes, mais aussi des spécialités au bon goût d’ailleurs : cascara fresca, latte au sésame glacé ou à l’igname pourpre pour les liquides ; boller, manchego ou silvanas côté solides. Le tout dans un cadre de consommation connu, rassurant, dont la DA blanc-bois-béton réinvente finalement peu la formule décorative bien établie – une certaine esthétique scandi-wabi-sabi. Au contraire, on y maintient ces codes pour mieux en introduire d’autres, d’autant plus flagrants qu’ils contrastent avec une homogénéité avérée dans le secteur.

La revanche des diasporas culinaires

À la tête de ces coffee shops régionalistes, dont une partie significative puise en Asie, on trouve généralement des entrepreneur·es, appartenant à la troisième (voire quatrième) génération d’immigré·es, qui « veulent montrer que le café vient aussi avec toute une culture », confie Nam Nguyen de Hanoï Corner au Monde. Et pour mieux opérer, cette mue se calque sur « des modèles instagrammables qu’on retrouve autant à New York, Tokyo ou Buenos Aires car ils répondent aux codes de leurs consommateurs internationaux », nous expliquait déjà Pierre Raffard, interrogé par Alice Blain dans notre article « Au resto chinois, la fin des dragons et des lampions ». Dans le cas de ces adresses asiatiques, cette façade au goût de l’époque sert un autre dessein : légitimer une proposition plus rémunératrice que celle des restaurants de leurs parents. « Je pense que la cuisine asiatique devrait être plus chère (…) Elle doit être davantage respectée », assumait à ce propos le serial entrepreneur Julien Pham (agence Phamily First, GiftShop, Chop Chop), dont les parents sont vietnamiens, dans le format Insta MetroTakes. Et quoi de mieux qu’un bon latte pour nous faire carte-de-créditer sans arrière-pensée ?

Un phénomène avant tout parisien

D’autant que pour certains palais qui n’auraient pas encore dévié des grands cafés parisiens, l’expérience vaut le détour. Pour les autres, Belleville et le 13e arrondissement ne sont plus les seules destinations permettant de (re)goûter aux joies de la vie embaguettée : les quartiers communautarisés s’étirent jusqu’à éclater, et avec eux les propositions figées. Enfin, en partie. Ici, c’est Paris, et si on a bien trouvé quelques rarissimes occurrences à Arles, Lyon et Anglet mis à part les inévitables comptoirs à bubble teas, le reste de la France tarde à dessiner autre chose que des fleurs dans les cafés. C’est vrai, ça : où sont les coffee shops éthiopiens, kenyans, brésiliens ou péruviens, des pays pourtant producteurs de café ? Et pourquoi ne trouve-t-on pas plus de modèles régionalistes à Marseille, par exemple, l’autre capitale culinaire qui affiche pourtant une grande diversité d’origines parmi ses habitant·es ?

Des lieux multilingues

C’est qu’au coffee shop, on parle encore exclusivement deux langues aujourd’hui : l’italien de la Marzocco (dites « macchiato » plutôt que noisette, « latte » à la place de café crème) et l’anglais du barista – « V60 », « aeropress », « single origin »… Complétées d’une goutte de japonais, pour qui préfère le matcha aux classiques caféinés. Pour commander, il faut donc avant tout maîtriser le langage « international » et technique qui infuse les cartes, les interactions, les ambiances. Un « carrot cake » vaut mieux que deux gâteaux à la carotte tu ne les auras pas… Mais à cette identité façon millefeuille, s’en ajoutent désormais d’autres, qui n’effacent pas les précédentes mais s’y superposent joyeusement. Assurément, on n’a pas fini de se balader un gobelet à la main – et pour info, café se dit cà phê en vietnamien.

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