Jus de cervelle

« Nos campagnes ont déjà essuyé suffisamment de drames »

C’est la question à 48 000 € : les agriculteur·rice·s doivent-ils et elles payer le prix de la crise écologique ? Dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron, les vignerons Quentin et Angélique Bourse racontent la mort annoncée de leur domaine, aux ressources asséchées par les banques. Une situation intenable sur laquelle plane le spectre du suicide récent de plusieurs collègues.

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    Quentin et Angélique Bourse
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Les vignes du Sot de l'Ange, en Val de Loire.

© Elisabeth Debourse

« Monsieur le Président de la République,

Si je prends la plume, c’est qu’il y a urgence !

Je suis vigneron en agriculture biologique dans le Val de Loire à Azay-le-Rideau (37). Depuis mon installation en 2015, nous avons subi des accidents climatiques violents et répétés. Nous avons dû remettre en question notre modèle à maintes reprises, apprendre à être innovants, rester fidèles à nos idéaux et adapter notre stratégie tout en creusant notre dette. Ces efforts nous ont amenés à être aujourd’hui ce que nous sommes : un domaine reconnu en France et à l’international pour le travail et les valeurs que nous portons. Malgré l’année 2021 catastrophique en termes de rendement et compliquée sur le plan sanitaire, nous pensions avoir réussi notre projet.

Cependant, l’assurance de notre propre banque (le groupe Crédit agricole) vient de mettre un coup d’arrêt violent à ce projet – projet dans lequel elle a elle-même investi lors de sa création, projet qu’elle a accompagné et soutenu au fil des années.
En effet, par une rigueur froide et mathématique, elle nous rend directement responsable et à la merci des futurs accidents climatiques, en augmentant brutalement et de façon dissuasive notre cotisation d’assurance-récolte sans même prendre le soin de nous prévenir de l’ampleur de cette augmentation significative (cotisation annuelle 2022 : 48 000 €, soit + 82 % sur une seule année dans notre cas).

C’est la limite du modèle agricole que nous avons choisi.

Concrètement, nous avons jusqu’au 28 février 2022 pour décider de céder à ce racket écologique en payant cette rançon, sans savoir dans quelle mesure cette cotisation évoluera. L’autre choix, dramatique, serait purement et simplement l’arrêt immédiat de notre activité agricole, avec tout ce que cela implique. Continuer sans assurance reviendrait à jouer quotidiennement, dès les semaines à venir, à la roulette russe avec notre domaine, nos équipes, nos familles et nos partenaires en nous exposant à la merci des prochains événements climatiques.
Si nous en appelons à votre aide, c’est parce que ces deux seules options sont aussi absurdes et destructrices l’une que l’autre. Monsieur le Président, vous l’aurez compris, nous sommes dans une impasse.

Cet ajustement, aussi nécessaire puisse-t-il être pour la santé financière et la pérennité du groupe Crédit agricole, mais effectuée dans le dos de ses adhérents, pourrait avoir des effets dramatiques, dévastateurs et immédiats dans nos campagnes. Il s’agit purement et simplement de la fin des projets agricoles pour tous les acteurs qui ne peuvent pas techniquement ou raisonnablement se protéger autrement qu’avec une solution d’assurance face aux aléas climatiques.

Au-delà de cela, le signal envoyé est violent et alarmant. Ce serait donc bien à nous, agricultrices et agriculteurs de ce pays, de payer le changement radical de climat dont nous sommes déjà assez victimes depuis tant d’années.
L’effet pervers d’une telle mesure serait de faire porter une lourde charge supplémentaire au milieu paysan. Nous nous battons tous les jours, de toutes nos forces, prenant toujours plus de risques pour être à la hauteur des enjeux écologiques, économiques et sociaux de notre époque.

Nous assurons notre exploitation au capital. Par définition, plus ce capital est élevé, plus il représente ce que nous investissons tant d’un point de vue humain que technique dans nos structures. Cette action va donc mettre à mal prioritairement et à très courte échéance les modèles pouvant être considérés comme les plus durables.
L’année 2021 a laissé de lourds stigmates dans le paysage agricole français, dans un contexte de crise sanitaire éprouvant. Vous n’êtes pas sans savoir que le bilan de cette année est catastrophique. Quant au bilan humain, il est dramatique et alarmant. Monsieur le Président, avec cet abandon caractérisé de nos propres banques et assurances agricoles, nous nous sentons impuissants et plus démunis que jamais. Ce n’est définitivement pas aux agriculteurs de payer de leur vie la facture des aléas climatiques répétés et traumatisants. Nous vous demandons d’agir, dès maintenant. Nos campagnes ont déjà essuyé suffisamment de drames et beaucoup vont encore se jouer dans les mois à venir sans une action forte et significative de la part de votre gouvernement. »

 

À la demande de Quentin Bourse, nous repartageons l’article « Clairet, Belluard, Lemasson : les raisins du mal-être » publié sur lefooding.com en juillet 2021, après que plusieurs vignerons ont mis fin à leurs jours en Loire, en Savoie et dans le Jura.

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