Né au XIXe siècle d’un fâcheux penchant pour la cochonnaille et le rouge au réveil des classes laborieuses, le bouchon est devenu bien malgré lui l’emblème d’une gastronomie lyonnaise ascendant gras-double, où le végétal ne jaillit toujours que timidement sous la forme d’un cornichon, d’une salade en embuscade derrière un escadron de lardons, ou d’un brin de persil coincé sous une tranche de fromage de tête. Autrement dit, des petits temples de l’excès viandard et charcutier, où tout invite à ripailler en rond, la dalle en pente et le coude haut.
Nappes à carreaux, raviers cochons, patron·ne rougeaud·e… Le bouchon aurait pu se borner à une sombre caricature de lui-même, si quelques dur·e·s de la couenne n’avaient pas ardemment défendu leur bon bout de gras. En embuscade à Lyon, les auteurs de Tour de tables et chroniqueurs Goulven Le Pollès et Alicia Dorey ont sélectionné la crème de la crème des adresses où (tire-)bouchonner avec excès, certes, mais surtout avec excellence.
Les critères de sélexception :
- – Une atmosphère tradi-bistrot. Un antre à rebrousse-temps où courent miroirs piqués, parquet patiné, mobilier de troquet et patron·ne·s enjoué·e·s.
- – Une carte qui redonde joyeusement. Été comme hiver, point de mollesse au menu : cervelas, andouillette, hareng pommes à l’huile, rognons et ris de veau s’affichent avec un taux d’absentéisme proche de celui d’un événement Fooding.
- – Une louche de supplément d’âme. Vinaigrette bien relevée, jus de viande langoureux, bas morceaux de haute tenue, croûtons dorés minute, babas moelleux et pralines célestes, sinon rien !
- – Du local au pichet, si possible nature. Du ballon à la fillette, des beaujolais et côtes-du-rhône prêts à tacher le veston le plus proprement du monde.
Le plus ripailleur
Salle bas de plafond, ambiance haute en couleur, tables nappées-collées-serrées, tenancier gouailleur arrimé au comptoir, habitué·e·s venu·e·s en bande ou en solo pour prendre leur part du gâteau (de foie de volaille) : voilà sans doute le plan le plus gouailleur de la Presqu’île, où tailler une bavette avec de parfait·e·s inconnu·e·s sur la tendreté de l’aloyau. Pour nous, ce soir-là, au Petit Bouchon « Chez Georges » ? Un hareng pommes à l’huile parfaitement relevé, suivi d’un onglet de bœuf nappé de sauce au saint-marcellin et d’une terrible tarte aux pralines anti-coup de barre… À escorter d’un petit coup de marc de Bourgogne servi au magnum ou d’un beaujolais désulfité, à piocher dans la carte « spéciale nature » – qu’il s’agit de gratter au taulier. Menus 30-35 €, carte 38,50 à 43,50 €.
Au Petit Bouchon « Chez Georges » – 8, rue du Garet, Lyon 1er
Le plus grand-guignolet
Institution centenaire de la rue Neuve, La Meunière est un bouchon vintage où affluent des hordes de fidèles à l’heure des vêpres, rassemblant plusieurs générations sous les ustensiles rutilants et vieilles croûtes accrochés aux murs, autour de tables en bois brut où copinent pots lyonnais, serviettes à carreaux et cocottes en fonte. Effrayés par le buffet à volonté proposé en entrée (museau, lentilles-cervelas et pieds de veau), on opta plutôt pour une demi-douzaine d’escargots au beurre persillé, de tendres cuisses de pintade taille 48 recouvertes d’une sauce aux morilles exquise (à saucer en duo à même la casserole), et un flan aux pralines à étouffer une grenouille de bénitier. Jolie carte vineuse bien que resserrée. Menus 23-37 €.
La Meunière – 11, rue Neuve, Lyon 1er
Le plus lard déco
À quelques minutes à pieds paquets des Cordeliers, le Bouchon Tupin est le repaire préféré de celles et ceux qui aiment bâfrer le petit doigt levé. Ici, point de nappes à carreaux bicolores, de portraits ovales d’aïeux élevés au saindoux et de marmites en cuivre… Mais une salle ornée de faïences, tables en marbre, lustres à franges et grands miroirs où guetter en toute discrétion la valse de serveur·se·s aux coudes et genoux bien huilés. Lesquel·le·s portaient à bout de bras, ce midi-là, une superbe salade de hareng pommes à l’huile, sauce ravigote, graines de moutarde et pickles d’oignon rouge, avant de nous apporter une fumante royale de champignons, avec jus réduit, cerneaux de noix et voluptueuse crème au bleu de Sassenage. L’esprit bouchon, sans excès de graillon ! Menus 25,50 à 33 €, carte 38-41 €.
Bouchon Tupin – 30, rue Tupin, Lyon 2e
Le plus dans son jus
1920 ! Cette année-là ouvrait Le Garet, bouchon pur jus résistant depuis toujours au goût de l’époque (Jean Moulin y avait ses habitudes), où croiser les couverts dans une salle qui semble ne pas avoir bougé d’un iota depuis des décennies – sol enfaïencé, murs en bois verni, banquettes vermillon… Dans les assiettes siglées : cervelle meunière, bavette à l’échalote, tête de veau ravigote, cervelle de canut… Mais point de poiscaille, si ce n’est le sempiternel hareng pommes à l’huile. On lustre le tout avec un pot ou une fillette de beaujo ou saint-jo’, et hop ! au dodo. Menus 25,50 à 34 €, carte 34 à 52,50 €.
Le Garet – 7, rue du Garet, 69001 Lyon
Le plus tonton bringueur
La majorité en poche depuis mars dernier, ce repaire de siffleur·se·s de ballons (vieux carrelage moucheté, enfilade de vins nat’, terrasse anguleuse) reste une valeur sûre de l’hypercentre. On y dégoupille à tout-va les canons du coin servis en pot ou jéro’, largement de quoi faire glisser la salade de ravioles, la quenelle de brochet sauce homardine ou la suggestion du jour – comme cette côte de veau frôlant le demi-kilo, accompagnée de PDT grenaille et d’une sauce aux trompettes-de-la-mort qui tue. En dessert ? De quoi faire grimper la glycémie avec un moelleux choco ou une crème brûlée à la vanille Bourbon, sublimée par l’un des armagnacs De Montal millésimés. Menu 34 €, carte 33,50 à 42,50 €.
Vieille Canaille – 14, rue Saint-Jérôme, Lyon 7e