La revanche des contenants
Clinglinglinggg ! C’est le chant des bouteilles en verre, auquel fait désormais écho celui des cubis et canettes, un peu moins bruyant… sauf sur le marché. Passés d’hérésie cheap au cool bien marketé (ou qui a simplement prouvé son efficacité), ces contenants alternatifs ont fini par se faire une place dans les mentalités. En 2022 déjà, 72 % des Français·es se disaient prêt·es à essayer la canette de vin (d’après un sondage mené par OpinionWay), souvent issue du négoce et joliment brandée. Quand le fameux BIB (« Bag-in-box »), lui, s’est en partie défait de son image de « vin de supermarché » après avoir été adopté par quelques vigneron·nes plutôt bien coté·es, qui lui ont confié leurs cuvées à écouler en bande organisée… Et si la bouteille reste la grande favorite des paniers, elle se vide désormais aussi vite qu’elle se remplit à la tireuse, adoptée par nombre de caves et bars à vin bien avisés.
Des lieux de conso fluides
Il n’y a plus qu’au restaurant ou à la table des parents qu’on tire-bouchonne sans vergogne : depuis plusieurs années, les festivals, entre autres méga-événements, se sont mis à proposer du (bon) vin, notamment grâce à l’avènement des susnommés nouveaux contenants… Fini la piquette mal-de-crâne : de We Love Green aux Solidays, en passant par Rock en Seine, on choisit ses vigneron·nes comme ses artistes – trié·es sur le godet ! Les caves, les bars et même les salons versent quant à eux de plus en plus souvent dans le deux-en-un : pinard et glace, pain et vin, verres et bouquins, voire pifs et coupe-tifs. On plaisante… mais jusqu’à quand ?
Des goûts et plein de couleurs
Rouge ou blanc ? Point de binarité dans nos verres à pied : le rosé a quitté sa piscine, l’orange les bancs de l’étrange, les clairets ne se font plus porter pâle… Si l’époque n’est pas vraiment à la nuance, les rayons des cavistes n’ont jamais autant regorgé de goûts et de nuances de couleurs. La grande gagnante ? La macération, plus ou moins orangée, issue de la fermentation de raisins blancs non pressés et/ou en grappes entières, vue sur absolument tous les comptoirs des caves à manger il y a de cela quelques années…
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Une mise au verre
Débouchez des quilles si vous voulez, mais ne vous sentez pas obligé·es : le vin au verre n’est plus forcément celui du patron (jamais franchement très bon), ni une exception. Conséquence de l’inflation ou question de modération, toujours est-il que les cartes s’étoffent de cuvées en dégust’ rotatives, dispensées à coups de 15 centilitres – jusqu’à devenir, dans certaines adresses, un véritable marqueur. Pour d’autres, c’est l’occasion de faire goûter un vin rare, qu’on n’ouvre pas tous les jours, mais pour tout le monde. Encore que, un verre en appelant un autre, en appelant lui-même un autre, on aurait parfois mieux fait de prendre une bouteille…
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait la liesse
C’est un fait : la consommation de vin des Français·es a reculé – quelles qu’en soient les raisons, des habitudes prises pendant les confinements à la baisse de leur pouvoir d’achat. Mais si l’on veut voir le verre à moitié plein, il y a de quoi le remplir avec une « nouvelle » génération de boissons : bières artisanales, kombuchas, cocktails sans alcool, infusions… Et le vin, dans tout ça ? Il reste le choix de prédilection des Français·es en matière d’alcool, mais se fait plus recherché, plus durable ou plus modéré, quand il ne tente pas des associations avec d’autres liquides – vous avez déjà entendu parler du spritz ?
Du nature qui s’étale comme la confiture
Difficile de passer à côté du tremblement de terroir que constitue, depuis une décennie, la démocratisation (et la meilleure compréhension) des vins naturels – sans ou avec peu de sulfites et d’intervention. Leur public s’est élargi et leur intérêt s’est affiné, dépassant le premier âge des quilles « funky »… même s’ils souffrent encore parfois d’une (plus ou moins) injuste réputation de vins « déviants », en plus d’une absence de normalisation malgré les tentatives de clarification de certains acteurs engagés du secteur. Un intérêt qu’a bien saisi la grande distrib’, qui n’en finit plus de surfer sur ce qui n’est déjà plus une simple tendance. Quant au guide Fooding, il recense depuis 2022 plus de 300 cavistes indé, en France et en Belgique, dans une rubrique dédiée.
Le retour des buveur·ses d’étiquettes
Face aux noms des grandes maisons, on préfère parfois désormais connaître le prénom des vigneron·nes. Athénaïs (de Béru), Rémi (Dufaitre), Kenjiro (Kagami), Alice (Bouvot), Laurence et Pascale (Choime)… C’est qu’ils et elles ont pris du galon, entrant dans le domaine des vins très cotés – voire hautement spéculés. Une génération de producteur·rices stars, qui incarnent leurs jus et donnent à boire un métier fondamentalement ancré dans la vigne, à l’heure où de plus en plus de citadin·es rêvent d’un retour à la nature. Mais gare à la fétichisation et à la crie-au-géniesation, qui a déjà démontré ses travers en cuisine, en plus de faire flamber les prix…
Des femmes qui en ont sous le chai
Dans un secteur autrefois très masculin, pour ne pas dire machiste (les compagnes des vignerons, bien qu’impliquées depuis la nuit des temps, ont longtemps été invisibilisées et considérées comme de simples « aidantes »), voilà que des noms de femmes se sont mis à apparaître sur les étiquettes des meilleurs flacons. Vinificatrices ou carrément proprios de domaines, elles s’imposent goutte que goutte, quitte à devoir ruer dans les brancards pour se faire respecter. En témoigne le travail engagé d’associations et de vigneronnes comme Isabelle Perraud, laquelle, derrière le compte Instagram Paye ton Pinard, dénonce les violences sexistes et sexuelles dans le milieu.
Des grandes familles et des reconverti·es
À côté des cuvées de sang bleu, vinifiées par de longues lignées de vigneron·nes, on trouve dans les rangs de plus en plus de sang frais. De nouveaux·elles venu·es, souvent reconverti·es, qui ont compris que ce n’est pas la taille (du domaine) qui compte – surtout au prix actuel de l’hectare dans certaines régions… De quoi rajeunir les chais et, tant qu’à faire, secouer la pratique avec de nouvelles techniques, ou, au contraire, revenir à une philosophie plus artisanale. Rrrrroulez, jeunesse !
Vin pour tous·tes, tous·tes pour vin !
La vallée du Rhône ou le Bordelais pour papa, la Savoie pour pépé, et la Loire pour les dernières branches de l’arbre géné’ ? Si les régions viticoles sont moins marquées hiérarchiquement qu’il y a dix ans, c’est parce qu’elles sont non seulement toutes dans le même bateau d’une consommation plus raisonnée, mais aussi parce qu’elles se sont diversifiées, soumises aux changements climatiques qui modifient inévitablement la typicité des vins. Pour attirer de nouveaux·elles buveur·ses, nombre d’entre elles ont donc choisi de se montrer plus fluides, plutôt que de tabler uniquement sur leurs historiques qualités. Du Médoc à l’Alsace, les « grands vins » sont partout !
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.




