Ce matin, j’ai boutonné ma chemise blanche en coton. Une première terrasse, c’est comme un baptême. Un rayon de soleil me caresse le dos et le ciel persiste en bleu, comme pour bénir les tables sorties sur les trottoirs. La mienne, c’est celle du Picamandil, mi-café mi-cave à manger à Puissalicon, un village paumé dans le Sud de la France. Le genre d’endroit où on entend les cloches sonner et les oiseaux chanter, avec un grand jardin, des oliviers, des tables jaunes et gris anthracite… etle souvenir d’un barbecue l’été dernier. De l’espace, de l’air, de la douceur, les tauliers Fred et Rebecca.
Alors, ça fait quoi de rouvrir ? Eh bien, ils avouent que « ça fait bizarre ». Bizarre de revoir du monde ici – il faut retrouver ses marques, ses repères, son rythme. Pour moi aussi c’est étrange, parce que, bien sûr, ça faisait longtemps. On doit choisir sur une ardoise et ne rien faire d’autre que se laisser servir, embrasser l’énergie d’un ici, la cuisine d’un ailleurs. Voir des visages attablés, les observer, parler à son voisin, écouter les conversations. Je réalise que je n’aurais pas aimé la violence du goudron, la frénésie, l’intensité et la profusion de la ville – je préfère la jouer rat des champs. Et en même temps, tout ça est très naturel. C’est comme le vélo ou l’amour : peu importe qu’on n’en ait pas fait depuis des mois ou des années, c’est en nous, on sait.
Le déjeuner s’écoule avec la bénédiction de la météo, et ça fait comme quand on entame un nouveau livre ou une nouvelle saison. Le chien est allongé sous la table, je dévore des croquettes de poulet, du quinoa aux légumes, aux herbes etaux raisins. Je choisis un verre de rosé de Wim Wagemans, installé pas très loin, pour l’assortir à mes joues. Un blanc passé sur des marcs d’aramon et de syrah, pour un jus fuchsia de mai – plein, entier, acidulé.
Encore deux cafés, une mousse au chocolat. Ce qui m’avait manqué c’est le dépliage du moment, entre les serviettes blanches et la peinture des nappes de fin de repas qui racontent le plaisir, le partage, la restauration. C’est la pause dans le temps qu’est un déjeuner au restaurant, c’est la nourriture qui remplit autrement – craquer sur le dessert, regarder en l’air, contempler autour de soi. Au Picamandil, c’est simple : c’est l’accueil, le sourire, l’intention, la rencontre. Ce qui fait véritablement nourriture.
Pauline Dupin-Aymard, l’autrice de ces lignes, voyage en camionnette, rencontre des vigneron·ne·s et raconte le tout avec beaucoup de mots à travers ses publications magazino-littéraires « Chassez le naturel ».
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