Comment définiriez-vous votre métier ?
J’ai un rôle polyvalent, qui va de la recherche de financements et de locaux au branding, en passant par le concept, la déco, la direction artistique, l’élaboration des cartes et des recettes, l’expérience client… Un resto, c’est un projet collectif, donc je me vois comme une cheffe d’orchestre qui coordonne tout ça avec les équipes.
Pourquoi avoir lancé Petit et Gros Bao ?
J’adore manger. J’aime les sensations que peut procurer la cuisine, je trouve ça fort et beau. Quand on passe une journée de merde, il peut suffire de manger quelque chose de bon pour être hyper heureux ! Je voulais faire un métier qui fasse du bien aux gens, qui ait une dimension sociale, un lien concret. Et puis, un restaurant, c’est très complet : ça mêle art culinaire et architecture, challenge et business, gestion des équipes… Je voulais aussi partager un bout de ma culture chinoise avec la France, où je me suis toujours sentie un peu ovni.
Il y a beaucoup de femmes dans la Bao Family ?
Oui !Environ 60 % de femmes et 40 % d’hommes, en cuisine comme en salle. Je veux construire un modèle égalitaire, paritaire, où l’on respecte l’équilibre vie pro et vie perso, avec une atmosphère bienveillante. Mais quand je recrute, je ne fais aucune distinction de genre ou d’âge. Ce qui m’intéresse, c’est la personnalité et l’état d’esprit de chacune.
Ça a été difficile de trouver des financements ?
Trois banques ont refusé mon dossier. On trouvait que j’étais trop jeune, que je n’avais pas assez d’expérience dans la restauration… Quand j’expliquais le modèle, on me répliquait : « Vous n’allez jamais pouvoir tenir physiquement 7 jours sur 7 ! » Aucun ne m’a dit frontalement « parce que vous êtes une femme », mais je sentais que ça jouait. On doit montrer beaucoup plus de conviction et de force de caractère quand on est une femme, prouver qu’on a la même endurance que les hommes… Mais j’ai persévéré : il faut se battre !
Avez-vous subi racisme et/ou sexisme dans ce milieu ?
C’est un univers encore très masculin. Parfois, des prestataires me font des remarques sur mon physique ou le fait que je porte une jupe… Il y a aussi des clients qui vont dire « Ha ha ! vous ne faites pas de chien, vous ! » Mais les mentalités évoluent, malgré les résidus sexistes et racistes. Et j’ai monté ce projet pour qu’il y ait de moins en moins de résidus.
Qui cuisinait dans votre famille ?
Ma grand-mère, qui a appris à ma mère. Mais je m’y suis intéressée très tard, vers 20 ans, quand j’ai commencé à prendre mon indépendance et que je me suis posé beaucoup de questions sur mon identité, ma double culture chinoise et française. Du coup, je suis partie en Chine, toute seule, pour comprendre la nature de la cuisine chinoise, les différences de saveurs et de cuissons entre les régions… Et avant d’ouvrir Petit Bao, j’y suis retournée un mois pour prendre des cours de cuisine avec des chefs chinois.
Que faudrait-il pour voir plus de femmes dans ce milieu ?
Mettre en avant des femmes inspirantes, qui montrent que c’est possible. Il faut se débarrasser des peurs et des barrières mentales qui empêchent d’agir, développer le mentoring, encourager les échanges et les rencontres avec des entrepreneuses, des pâtissières, des cheffes… Je dirais aux femmes qui veulent se lancer, de croire en leurs rêves et leurs projets, de ne pas écouter l’entourage proche, qui peut projeter ses propres peurs sur elles.Foncez !
Propos recueillis par Nora Bouazzouni
© Photo Carole Cheung