Cheffes de bande

Shirley Garrier, Agathe Hernandez et le b.a.- ba de la DA

Léchouilleuses de cuillères et autrices de com’ tout aussi léchées, les créatrices de caprices Shirley Garrier (cofondatrice de The Social Food) et Agathe Hernandez (photographe de Cagnard) nous briefent sur la direction artistique des restos à forte personnalité.

  • Date de publication
  • par
    Nora Bouazzouni
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Shirley Garrier et Agathe Hernandez

© Clémentine Passet

Pourquoi de plus en plus de lieux de bouche soignent autant leur image ?

Shirley Garrier : Dans la restauration, un peu comme dans la fast fashion, les clients se lassent très vite. Un concept, ça dure un an ou deux, puis les gens passent à autre chose. Il faut donc réussir à se démarquer dans un univers de plus en plus concurrentiel.

Instagram y est pour beaucoup, non ?

Agathe Hernandez : Les restaurants ont compris que même s’ils font de la super bonne cuisine, que le ou la cheffe est top et que le lieu est magnifique, il faut communiquer pour se différencier, pour se distinguer – et ça passe effectivement par des photos. C’est presque devenu un passage obligé. Il faut avoir un compte Instagram qui soit beau, et surtout qui mette l’accent sur les spécialités, pour donner envie aux gens de tester tel ou tel plat en particulier.

C’est incontournable pour tous les restaurants ou une certaine catégorie de tables ?

A.H. : Certaines peuvent s’en passer si elles sont déjà hyper bien identifiées. Mais je me mets à la place des restaurateurs : si je lançais un resto demain, j’aurais envie que tout soit joli, que les photos et la déco soient belles… Et la communication, c’est en quelque sorte l’aboutissement de tout ce travail.

S.G. : C’est plutôt incontournable, mais pas pour tout le monde. Avec Mathieu [Zouhairi, l’autre moitié de The Social Food, ndlr], on divise les restos en deux catégories : d’un côté, les nouveaux concepts, avec tout ce qui est monoproduit ou nouvelle génération de chefs – et là, c’est obligatoire, parce qu’il y a tellement de concurrence qu’il faut montrer sa personnalité, son style. De l’autre côté, il y a les institutions, qui peuvent se passer de communication. On travaille par exemple avec Chez Georges, une brasserie parisienne à l’ancienne [ouverte en 1926, ndlr] qui n’a clairement pas besoin des réseaux sociaux pour attirer les clients.

Agathe Hernandez

Agathe Hernandez

© Clémentine Passet

Il y a donc des restaurants tradis qui font appel à vous pour un « coup de jeune » ?

A.H. : J’ai fait un shooting au Meurice récemment, qui rentre typiquement dans la catégorie « institutions » dont parle Shirley et qui, a priori, n’a pas vraiment besoin de photos pour faire venir du monde. Mais face à la grosse communication d’autres institutions, je suppose que même eux ont besoin de réaffirmer leur identité – qui a évolué. On a donc shooté au Dalí, l’un de leurs restos, pour montrer la cuisine, le lieu, l’ambiance…

S.G. : Ces endroits-là passent aussi beaucoup par des agences de communication pour des opérations avec des marques ou bien des pop-up – format qui existe depuis quelques années déjà, mais qu’on voit de plus en plus. Ça prend la forme d’une collaboration avec un champagne ou une bière, ou avec des chefs… et ça peut aider un lieu un peu à l’ancienne à se donner du cool !

Concrètement, comment vous intervenez auprès des restos ?

A.H. : À la base, je suis photographe, avec une partie direction artistique. Mon travail, c’est de réfléchir, en amont de chaque shooting, à une ligne directrice pour positionner les marques, définir des idées fortes visuellement, pour qu’elles puissent se différencier. J’interviens donc au niveau du stylisme et du set design (la mise en scène, ndlr), mais aussi sur la partie éditoriale désormais : rédaction, signature, contenus en ligne…

S.G. : On fait beaucoup de choses différentes ! On a commencé avec la photo, mais aujourd’hui on touche un peu à tout ce qui est en lien avec la restauration : photo, vidéo, communication, consulting, branding… et même le design d’objets culinaires.

Les clients vous laissent carte blanche, ou bien ils ont généralement des idées arrêtées ?

A.H. : La plupart des clients font appel à moi pour ma patte « solaire » – c’est comme ça qu’ils la qualifient ! Ils veulent des photos lumineuses, vivantes, gaies et colorées, avec une pointe de nostalgie. Ils viennent souvent avec des références trouvées sur mon compte Insta, mais me laissent choisir la direction artistique du shooting. Après, si le client veut conserver une image de marque déjà très identifiée, je m’adapte ! On a justement créé le studio Cagnard pour accepter des projets plus éloignés de mon style habituel.

S.G. : En général, les gens qui font appel à nous sont un peu dans le flou. Et il faut savoir qu’on travaille d’une manière particulière : aucun brief, aucune préparation en amont – on fait tout sur le tas, en entrant dans le lieu en question. Parce que c’est seulement là qu’on arrive à vraiment capter l’ambiance d’un restaurant, la personnalité du chef et de l’endroit. Et c’est important pour nous de retranscrire cette essence au plus près, sans la dénaturer, que ce soit en photo, en story sur Insta ou en vidéo. Ça fait tellement longtemps qu’on fonctionne de cette manière que ça crée des automatismes : on trouve le beau dans des choses qu’eux ne voient pas forcément, des petits détails, l’usure des murs, la patine d’un meuble, bref, tout ce qui fait le charme du lieu… On adore ça !

Shirley Garrier

Shirley Garrier

© Clémentine Passet

C’est quoi les grosses tendances du moment ?

S.G. : Difficile à dire, parce qu’il y a tellement de concepts différents, de clans, aussi, dans la restauration… Mais forcément, ils finissent par s’influencer un peu les uns les autres. Il y a par exemple beaucoup de restos monoproduits, en ce moment. Mais je pense que la grosse tendance qui arrive, c’est le retour aux cuisines traditionnelles, bistrotières, les plats en sauce… On le ressent déjà dans la déco, du moins à Paris, avec les petits voilages aux fenêtres, les sous-verres en dentelle… Un retour à l’ancienne, quoi !

A.H. : Je dirais qu’il y a une volonté d’incarnation. Donc on voit beaucoup de plats, mais aussi le staff, avec les photos des plongeurs, par exemple, qui sont essentiels dans l’écosystème d’un resto. Une autre chose qu’on me demande beaucoup en shooting, mais que je fais naturellement depuis longtemps, c’est de mettre en scène les tables, pour avoir des photos vivantes : des assiettes entamées, des fins de tablée avec des taches sur la nappe… Et je rejoins Shirley sur le retour aux classiques : on voit revenir des petits restos à la déco très bistrot, avec des plats ultra-simples et des cartes encore plus courtes qu’avant – des endroits où l’on se sent bien, avec ce côté un peu réconfortant des lieux d’antan…

Un coup de cœur récent, en termes de DA ou de concept ?

A.H. : L’association surprenante vin-glace de Folderol est une idée de génie ! Et c’est un nouveau concept qui n’a pas eu besoin de communication, de photographe pro ou d’une identité sur les réseaux pour avoir du succès. La simple notoriété et la légitimité acquises par Jessica et Robert avec le Rigmarole ont fait que ce projet a tout de suite été adopté…

S.G. : Une DA globale qui nous a toujours parlé, c’est la vibe anglaise, comme celle de St. John, Lyle’s, Osip ou plus récemment Norman’s, à Londres. On les aime pour leur style dépouillé, qui va à l’essentiel, avec une certaine intemporalité et une sobriété naturelle qui nous touchent particulièrement, que ce soit dans la déco, l’assiette ou sur les réseaux sociaux. Et sur place, il se passe un truc indescriptible, dans la précision et la simplicité… Je trouve que Londres a toujours eu un petit temps d’avance sur Paris, qui s’en est beaucoup inspiré, mais maladroitement – une question de sens du détail, de goût et de vision, sans doute.

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