Cheffes de bande

Veilleuse de nuit

Carina Soto Velasquez est LA patronne du bartending parisien. Et quand elle lève le coude, c’est pour brandir les prix remportés depuis dix ans avec la team Quixotic Projects (fondée avec Joshua Fontaine et Adam Tsou), à l’origine de Candelaria, Le Mary Celeste, Hero et Les Grands Verres.

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  • par
    Nora Bouazzouni
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Etre une femme derrière un bar, la nuit, c’est difficile ?
En soi, le travail de nuit dans un bar n’est pas facile. On y éprouve un fort manque de respect, il faut être solide mentalement. Le fait d’être une femme ajoute de la difficulté. J’ai vu des clients agressifs, qui ne vous prennent pas au sérieux ou qui essaient d’avoir des choses gratuites parce qu’ils voient une femme derrière le bar. Mais j’ai également vu des comportement sexistes de la part de collègues. Le pire, c’est quand j’étais serveuse ou hôtesse. En fait, il n’y a pas une profession où les femmes ne se font pas harceler.

C’est compliqué de répliquer, de se défendre ?
Oui, et plus encore quand vous commencez. Vous vous donnez tellement, vous voulez tellement vous en sortir que vous acceptez tout. En tant qu’immigrée colombienne, j’étais particulièrement contente d’avoir du boulot, dans l’espoir d’obtenir des papiers. J’étais moins bien payée que mes collègues, moins bien traitée, mais ça me passait au dessus, j’avais besoin de ces boulots pour survivre. D’une manière générale, la situation était bien moins favorable il y a dix ans. On doit toujours se battre aujourd’hui, mais les femmes ont beaucoup plus d’espace pour parler.

Le mouvement #MeToo a-t-il réellement libéré la parole pour toutes les générations de femmes ?
La peur est encore là… Certaines femmes ont du mal à s’exprimer, comme si elles ressentaient encore un peu de culpabilité. En revanche, les femmes qui ont une vingtaine d’années s’affirment beaucoup plus, je le vois avec mes collaboratrices. De mon côté, je leur donne beaucoup de pouvoir pour qu’elles s’en sortent, et je suis à l’écoute. Mais j’ai également des sujets à travailler en tant que Sud-Américaine : là-bas, si les femmes en imposent, elles sont aussi très machistes. J’ai toujours voulu me battre contre ce paradoxe.

Qu’est-ce que ça change d’avoir une femme comme patronne ?
Il est important d’avoir des exemples pour s’en inspirer, même si personne n’est parfait ! Quand j’avais des patronnes, j’avais encore plus envie d’apprendre. Je me disais que si elles avaient pu y arriver, moi aussi je le pouvais ! Par ailleurs, comme il est très intimidant pour une femme d’entrer dans un milieu majoritairement masculin, qu’il y ait au moins une femme dans le leadership, ça aide vraiment. Mes établissements comptent beaucoup de manageuses, ce qui encourage les femmes à venir travailler chez nous. Mes deux associés sont féministes eux aussi : il me semble essentiel d’avoir le soutien des hommes qui travaillent avec vous.

Vous avez remporté le Dame Hall of Fame l’été dernier, un prix exclusivement féminin.
Oui. Ce prix récompense depuis 2012 le travail des femmes dans l’industrie du bar, mais permet aussi de créer et de faire grandir une communauté. Par exemple, si dès demain une bartender souhaite partir à Londres, elle peut contacter une femme qui y travaille via ce réseau.

C’était comment, les concours de bartending, il y a dix ans ?
A l’époque où j’ai gagné les Trophées du bar à Paris, en 2008, ce n’était pas du tout évident : j’étais la seule femme à concourir, le jury était exclusivement masculin et il n’y avait que trois femmes dans le public ! Et, évidemment, tout le monde a dit que j’avais gagné parce que j’étais la seule femme… Les choses ont bien changé depuis à Paris, où je trouve qu’il y a une belle fraternité entre les hommes et les femmes. C’est assez exceptionnel comparé à d’autres villes !

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