Cheffes de bande

Alexia Foucher-Charraire, Claire Vallée et la dalle végétale

Les fraîchissimes productions légumières d’Alexia Foucher-Charraire, directrice générale des Vergers St-Eustache, se baladent sur de bien belles tables, mais aussi, depuis un an, dans les frigos des particulier·ère·s francilien·ne·s. C’est au bord du bassin d’Arcachon que la cheffe autodidacte Claire Vallée balance quant à elle de grandes claques vegan qui font voir des étoiles. Toutes deux, elles participent à la révolution verte qui pourrait faire basculer notre système alimentaire.

  • Date de publication
  • par
    Nora Bouazzouni
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Alexia Foucher-Charraire et Claire Vallée

© Clémentine Passet

Qu’est-ce qui pousse une jeune cheffe à ouvrir un resto végétal, sans produits d’origine animale dans l’assiette ni ailleurs – son premier en prime ?
Claire Vallée : Après une formation en archéologie, j’ai passé quelques années en Suisse, dans la restauration, avant de partir en Thaïlande. J’y ai découvert un rapport à la nourriture qui n’est pas que carnassier, mais basé également sur une culture végétarienne voire vegan. J’ai commencé à manger du tofu, du seitan, des racines, des tas d’épices… et j’ai été conquise ! À mon retour en France, j’ai trouvé une place dans un restaurant gastronomique, mais sans pouvoir y cuisiner vegan. Et au bout d’un an, je n’avais plus du tout d’intérêt pour la viande et les produits laitiers. J’ai donc décidé d’ouvrir mon propre restaurant…

En Gironde, dans une région à forte identité bidocharde et poiscailleuse, qui plus est !
C.V. : Des tas de gens ne croyaient pas à mon projet, et les banques non plus ! Mais j’ai été très soutenue localement : on nous a donné un coup de main pour les travaux, et toute une chaîne de solidarité s’est créée. Certains restaurateurs sont même gentiment venus nous apporter des pizzas ! J’ai été vegan pendant presque sept ans et j’en suis revenu, même si je ne mange toujours pas de viande. Je ne prône pas le véganisme, je préfère appeler ce qu’on propose de la « gastronomie végétale ». J’aime quand les choses sont faites correctement, dans le respect.

Alexia, vous avez lancé Les Paniers Mixtes en plein confinement… qui ont rencontré un succès fou !
Alexia Foucher-Charraire : En mars 2020, les restaurants avaient baissé le rideau et il était déjà question de fermer les marchés. Les citoyens avaient peur de manquer de produits frais, et les producteurs devaient continuer à écouler leur récolte. Nos frigos étaient pleins, alors on a décidé d’incarner ce trait d’union entre ces deux besoins… Résultat, en 24 heures, on a reçu 2 000 mails de particuliers pour nos paniers !

Aujourd’hui, vous continuez de proposer vos fruits et légumes sur votre boutique en ligne, où vous prenez bien soin d’indiquer l’origine de chaque produit. C’est votre façon de créer un cercle vertueux ?
A.F.-C. : C’est l’une des manières de faire. Mais ce n’est pas parce qu’on a la tête d’un producteur sur un produit qu’il est forcément de qualité. D’ailleurs, l’agro-industrie et la grande distribution surfent pas mal sur cette tendance… Mais pour les gens curieux de savoir ce qu’ils mangent, de connaître l’origine des produits et l’histoire des femmes et des hommes qui les nourrissent, c’est important. Puis ça attise cette envie d’être de plus en plus responsable dans sa consommation.

Quelles sont les autres manières de participer à cette révolution végétale et durable ?
A.F.-C. : D’abord, il faut réapprendre à s’alimenter, et ce dès l’école. Tant que ça n’aura pas changé, on aura beau avoir plein d’informations, ça ne suffira pas. Ensuite, il faut rendre accessibles les produits et la cuisine. Si vous posez la question à des Parisiens, oui, c’est facile de s’approvisionner. Mais ailleurs, ce n’est pas toujours la même histoire… Je pense qu’il faut aussi dédiaboliser la croyance selon laquelle « bien » manger demande du temps et de l’argent. Faire une soupe ou une poêlée de légumes, c’est très rapide et d’une simplicité enfantine. Enfin, pour qu’on puisse tous manger correctement, il faut produire suffisamment. Donc il faut que les métiers de l’agriculture redeviennent attractifs. Si vous demandez à des ados ce qu’ils veulent faire, peu vous répondront « m’installer à la campagne et faire pousser des radis ». C’est un métier dur, mais dans un pays avec un tel taux de chômage, il faut redonner envie aux jeunes de se lancer.

De plus en plus de chefs font la part belle au végétal… À votre avis, greenwashing ou tendance durable ?
A.F.-C. : Je crois qu’il y a une vraie prise de conscience. Ça fait quinze ans que je travaille dans ce domaine et il y a encore quelques années, le premier poste de dépenses d’un restaurant, c’était la viande ou le poisson. Aujourd’hui, dans neuf cas sur dix, c’est le végétal. On a été précurseurs à ce niveau-là, en amenant des chefs chez les producteurs, avec l’espoir de recréer du lien entre eux. Et cette tendance végétale, initiée par de grands chefs, atteint désormais d’autres strates de la restauration.

C.V. : Certains cherchent à se donner bonne conscience, mais pas mal de gens sont sincères dans leur démarche. C’est une vraie tendance de fond, en France comme à l’étranger. Il y a eu beaucoup de malbouffe, beaucoup d’excès avec l’élevage industriel, dont les chefs commencent à revenir, même dans les petits restaurants. Mais c’est aussi parce que l’attente des consommateurs a changé.

Lorsque vous avez remporté votre étoile Michelin, la première en France pour un resto végétalien, les réactions de certaines figures de la gastronomie ont été particulièrement violentes, vous accusant d’assassiner la gastronomie et le terroir français…
C.V. : En France, on a une culture culinaire très viandarde. Et on a toujours été réacs, c’est comme ça : il ne faut pas toucher aux choses… Sauf qu’aujourd’hui, on est obligé de changer, sinon on va simplement crever ! Il va falloir se bouger les fesses, pour parler crûment, comprendre comment le système alimentaire fonctionne, et ce qu’on a mal fait. Je ne dis pas qu’il ne faut plus de viande ni de produits laitiers, mais on est allé tellement loin dans l’élevage industriel, par exemple, que ça ne m’étonne pas que certains aient réagi en créant des mouvements vegan intégristes. On peut faire les choses bien et proprement, je sais que notre démarche ne plaît pas à tout le monde mais moi, j’aime ce que je fais. L’espace d’un été, plus d’une trentaine de clients m’ont dit, en pleurant, que ma cuisine était fabuleuse, alors j’estime que j’ai gagné.

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