Le goût du bon produit, ça a toujours coulé de source pour vous ?
Nina Métayer : J’ai commencé en boulangerie il y a maintenant seize ans, et à l’époque, c’était bien vu d’avoir un côté un peu industriel – c’était un signe de réussite. C’est en travaillant dans la restauration que j’ai découvert que les cuisiniers avaient un temps d’avance sur nous. Ils travaillaient des produits frais, quand les pâtissiers avaient tendance à bosser principalement avec du surgelé… Avoir une bonne fraise en hiver, ce n’était donc pas du tout un problème !
Claire Hollender : C’est pareil dans le chocolat. Le bean-to-bar (« de la fève à la tablette », ndlr) a mis du temps à arriver en France, et avec nos quatre ans et demi d’existence, on fait partie des plus anciennes dans la pratique ! On a découvert le cacao en Colombie, avec des producteurs qui nous ont appris que le chocolat, c’est un peu comme le vin : il y a des terroirs, et on ne le récolte pas n’importe quand – seulement deux fois par an. On le sent, au goût, que les récoltes d’automne et de printemps sont différentes, et d’année en année également ! Les Français le savent et l’acceptent pour le vin et ses terroirs, alors pourquoi pas pour le reste ? Notre objectif à nous, c’est qu’on arrête de mélanger les fèves, contrairement aux pratiques des industriels qui recherchent le goût le plus homogène possible.
On voit encore des fraisiers ou des framboisiers chaque hiver… La saisonnalité, c’est l’angle mort de la pâtisserie ?
N. M. : J’ai eu la chance de commencer avec Camille Lesecq, passé par Le Meurice, qui fait partie des précurseurs de la pâtisserie saisonnière avec Benoît Castel, Jacques Genin… Mais globalement, je trouve que ça va mieux depuis deux ou trois ans. Aujourd’hui, si on expose un fraisier en hiver, on est pointé du doigt – et tant mieux. Le Collège culinaire de France a également émis des recommandations à ce sujet, on avance relativement vite. C’est pour cette raison que j’ai quitté le salariat pour me mettre à mon compte, car je ne pouvais plus continuer à travailler pour quelqu’un qui fait l’inverse de ce en quoi je crois !
Qui est responsable de ces changements ?
N. M. : Je pense que les médias y sont pour beaucoup. C’est aussi une question de communication pour les pâtissiers. Si on travaille bien, qu’on achète chez de bons producteurs mais qu’on ne communique pas dessus, c’est contre-productif : il faut valoriser tout cela pour vendre les pâtisseries plus chères, justement parce qu’on a acheté des produits plus chers, et pour faire vivre ces producteurs qui travaillent bien ! Quand on me dit que ma tarte aux mirabelles, qui vaut 30 €, est trop chère, je comprends que ce ne soit pas pour tous les budgets, mais c’est un choix : si je baisse le prix, soit je tire sur mon producteur, soit je tire sur mes équipes, soit je tire sur moi.
C. H. : C’est pareil pour nous, qui vendons des tablettes à 7,50 €. Quand vous achetez une tablette à 1 € au supermarché, vous devez savoir que les gens qui ont produit le cacao ne vivent pas. Imaginez : si le cacao était cultivé en France métropolitaine, une tablette vaudrait à peu près 30 €. Est-ce que les gens seraient prêts à payer ce prix pour un travail correctement rémunéré ?
Et vous, comment valorisez-vous votre boulot et celui de vos producteurs ?
C. H. : Toutes nos tablettes mentionnent les coopératives avec lesquelles on travaille. Le plus important pour nous, c’est d’être transparent du début à la fin. Personnellement, je trouve que les labels « bio » ou « équitable » ne veulent pas dire grand-chose, même s’ils peuvent être intéressants en supermarché, histoire de choisir le moins pire. La plupart de mes cacaos ne sont labellisés, mais sont bien au-delà des critères exigés par ces labels.
N. M. : De mon côté, j’essaie de valoriser le produit principal de chaque pâtisserie. Pour ma tarte à la rhubarbe, c’était mon micro-producteur normand en permaculture. Pour ma galette des rois, j’ai mis en avant mon producteur de farine. D’autres fois, c’est le beurre… Je veux que celles et ceux qui achètent mes pâtisseries me fassent confiance. Et je crois que c’est réussi, car j’ai des clients ultra-fidèles, même en ligne – c’est ma plus grande fierté !
Vous vous sentez politiquement engagées ?
N. M. : Je n’aime pas trop la politique, mais je pense que « bien » dépenser son argent, c’est une forme d’engagement. Nos choix et notre pouvoir d’achat, aujourd’hui, sont peut-être notre plus grand levier. Personnellement, je suis de plus en plus engagée, parce que je suis énervée ! Les gens n’ont pas conscience du travail fourni, la plupart du temps ils ne voient que les ingrédients… Ce n’est pas de la mauvaise volonté de leur part, je pense que c’est simplement dû à un manque d’information. Quand on parle de confiance et d’engagement, il faut de la pédagogie derrière. Les médias peuvent y remédier, mais il faut qu’on soit nombreux pour que ça fonctionne et qu’on puisse faire grandir ce qu’on revendique.
C. M. : Pour avoir un impact plus important, on s’est regroupées au sein d’une association française du bean-to-bar, avec d’autres chocolatiers. Ça nous permet, par exemple, d’acheter plus de fèves Chuncho du Pérou, une variété de cacao en voie de disparition car très petite et pas assez rentable pour les producteurs. Ils coupaient tous les arbres, et des regroupements comme le nôtre ont permis de sauvegarder cette variété. Bref, derrière chacune de nos tablettes, il y a un projet. En Colombie par exemple, c’est cacao contre coca. Le but, ce n’est pas seulement d’acheter des fèves… donc oui, notre démarche est forcément politique.