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Le PMU, un bar qui a la classe (sociale)

Le rade de quartier n’a jamais été aussi hypé ! La preuve ? L’avènement de nouvelles adresses se revendiquant « PMU de qualité »… Alors que le petit jaune au comptoir revit son heure de gloire, le Fooding s’est accoudé avec Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste tendance sociologue, qui a dédié son livre No Fake : contre-histoire de notre quête d’authenticité à cette éreintante recherche de simplicité, au léger goût popularo-gentrifié.

  • Date de publication
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    Carla Thorel
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Chaise en pastique et table colorée au Zorba, à Belleville

© Carla Thorel

On y fait glisser un café noir (ou une bière pour les plus téméraires) sur le zinc le matin, on y avale un croque-monsieur grillé au four-combi à midi, on s’y pose avec un (autre) café et L’Équipe au goûter, on y mate un Auxerre-Lens arrosé d’une blonde à l’heure de l’apéro – et plus si affinités ! Le PMU, pour « Pari mutuel urbain », est aussi un lieu d’échanges et de rencontres, qui voit client·e·s d’un jour et habitué·e·s défiler toute la sainte journée. Mais ce n’est pas des quotidiens de Coco-le-lève-tôt du Sully, ou d’Odette, tenancière jurassienne centenaire immortalisée par Guillaume Blot dans son bouquin Rades, sorti en mai dernier, dont il est question dans ce papier. C’est que le PMU, longtemps marginalisé, inspire voire fascine une nouvelle garde de spots en quête d’identité et d’authenticité.

Alors qu’une flopée de PMU modernistes ouvrent dans tout l’Hexagone, on s’est demandé ce que raconte cet espoir de rade populaire, où s’envoyer vin naturel et assiettes à partager. Jean-Laurent Cassely, auteur de l’essai socio-journalistique No Fake : contre-histoire de notre quête d’authenticité (Arkhê), s’est posé la même question. Mieux, il y a répondu.

Ça fait quelque temps qu’au Bureau du Fooding, on observe l’ouverture de nouveaux types de restos et bars, qui se lookent ou se proclament carrément « PMU 2.0 »… Vous avez remarqué ?

Jean-Laurent Cassely : La première fois que j’ai reçu un communiqué de presse sur une adresse se revendiquant de ce genre, j’ai été surpris. Je l’ai d’abord prise pour un cas isolé. Le temps passant, je me suis rendu compte qu’il y a de quoi creuser ! Ce qui me frappe le plus, c’est que ce sont des créations plutôt que des reprises de lieux. Cela veut dire que ce sont des endroits qui se réclament de l’ambiance, de l’aura et la mythologie des PMU, sans forcément en être les descendants.

C’est quoi, la mythologie du PMU ?

Si on prend le décor, c’est une devanture vintage, des parasols Miko, une enseigne Heineken. Il y a des gens qui lisent le journal, qui grattent des jeux. Il y a une esthétique populaire et l’ambiance qui va avec, conviviale et authentique, avec des gens plutôt âgés. Le PMU, c’est un lieu de passage et de brassage social.

© Carla Thorel

Quand des tauliers ne sont pas issus de cette culture, mais s’en revendiquent ou en imitent les codes, est-ce qu’on doit parler d’appropriation ou saluer l’inspiration ?

Tout cela reste pour l’instant de l’ordre du clin d’œil, selon moi. Ce qui est amusant, c’est que je doute que dans ces « néo-PMU », il y ait de vraies bornes de paris, par exemple. Autre curiosité : on y imite une esthétique vintage, comme je le disais, qui ne l’est en fait qu’accidentellement… Je me demande surtout quel genre de mixité sociale on va réellement retrouver dans ces nouveaux PMU. Et si l’essence authentique originelle va perdurer. Le problème de l’authenticité, c’est que ce n’est pas de l’ingénierie, ça ne se crée pas en laboratoire.

Tant pour les restaurants que pour les clients, vouloir être authentique sur les réseaux sociaux, donc par une mise en scène, est-ce que c’est contradictoire ?

L’ethnologue David Berliner parle d’« exonostalgie » : la nostalgie d’une époque qu’on n’a pas connue. On reproduit quelque chose dont on a un souvenir indirect, ce qui implique de sortir de la réalité pour y juxtaposer nos codes actuels, notamment par l’image et la communication. À l’origine, parce qu’il est « le bar du coin », le PMU n’a pas besoin d’avoir de bonnes critiques dans les médias par exemple, pour que les gens y aillent. C’est une sorte de bordel bienheureux, le PMU, quand il fonctionne.

Mais pourquoi cette authenticité attire tellement, au fond ?

D’abord, on assiste à un renouvellement des modes, c’est un fait. Mais je sens peut-être aussi une sorte de lassitude des bars et restos à concept, comme on a pu en voir beaucoup ces dernières années. Le nouveau charme du PMU, c’est une sorte de retour de bâton : après un trop-plein de fioritures, on veut revenir aux rades de quartier simples, dans leur jus, ouverts à tous et toutes de 8 heures à minuit… Cette idée, elle séduit – je dirais même, elle rassure. Je pense qu’on veut le meilleur des deux mondes, et qu’on peut se réjouir de tout ce qu’on a gagné dans le monde bistrotier au niveau des produits, de l’esthétique et du service, tout en questionnant l’impact que cela a eu sur la mixité et l’authenticité.

© Carla Thorel

Si ces nouvelles adresses ont effectivement un désir de rassembler dans une époque qu’on décrit souvent comme individualiste, est-ce qu’on peut dire que les néo-PMU sont des propositions engagées ?

C’est comme si le bar PMU, le vrai, était l’exception dans un paysage gastronomique où le resto « Fooding » était devenu la norme, en fin de compte. Ce qu’il y aurait de politique dans l’ouverture de ces adresses, c’est effectivement une réaction aux antipodes, contre la gentrification commerciale : la quête d’un lieu inclusif avec des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes… en miroir à une polarisation sociale.

La mixité sociale d’un lieu, ça passe aussi par les horaires ?

La particularité du bar-tabac, c’est qu’il est une destination pour différents groupes de personnes, à différents moments de la journée. L’apéro est un moment clé, mais il y a aussi le café du matin, et l’heure du déjeuner pour ceux qui font de la restauration. Avec les néo-PMU, on peut imaginer que les heures creuses soient désormais celles des télétravailleurs…

Le comptoir est primordial dans un PMU, mais est-ce qu’il est et sera toujours aussi important dans ces nouveaux lieux ?

Est-ce que l’interface-comptoir va rester, et même renaître de ses cendres ? Je ne sais pas, mais ce serait plutôt cool. J’aimerais qu’on puisse retrouver ce lien si spécial entre les clients et le patron, grâce au comptoir. L’enjeu, ça va aussi être que les anciens et les nouveaux habitués s’y retrouvent.

© Carla Thorel

Parmi les figures phares du PMU, il y a effectivement « l’habitué ». Est-ce qu’il est lui aussi amené à évoluer ?

L’habitué du coffee shop, par exemple, est un travailleur à distance à la recherche du wifi. L’habitué du PMU a toujours été plutôt masculin, seul et âgé – on l’imagine très bien boire sa bière au comptoir. Alors l’habitué de demain, je le vois comme un hybride de ces deux figures.

Si le futur, c’est regarder PSG-OM dans un bar tout en buvant une quille de vin nature, ça ne sonne pas si mal, non ?

Il y a une rencontre qui se fait dans les deux sens, avec une mise à la page de lieux populaires et la popularisation de lieux à la mode. Boire une IPA brassée à Paris à côté d’un mec qui vit dans le même quartier que soi, je trouve ça assez motivant. Finalement, les néo-PMU représentent bien l’envie de cohésion de notre époque, qui en a trop manqué.

Carla Thorel, l’autrice de cet article, a gratouillé chez Tsugi et Technikart avant d’atterrir au bureau du Fooding. Après lecture, vous conviendrez qu’elle fait mentir toutes les bêtises qu’on déblatère sur les stagiaires.

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