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Massimo Bottura va vous faire finir votre assiette

Le boss de faim de la cucina italiana, ne lui en déplaise, a aussi un côté Robin des Bois… Massimo Bottura a créé l’asso Food for Soul contre le gaspillage et pour plus de justice alimentaire, qui est à l’origine des Refettorios : treize tables à travers le monde (dont une à Paris) qui restaurent leur communauté, au propre comme au figuré. Pour le Fooding, le chef de l’Osteria Francescana raconte comment des vaches, notamment, ont radicalement changé sa manière de travailler.

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  • par
    Olivier Joyard
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© Simon Owen

En 2015, vous avez créé avec votre épouse et associée Lara Gilmore les « Refettorios », des restaurants solidaires qui luttent contre le gaspillage et pour l’inclusion sociale, en proposant des repas peu chers à des personnes précarisées. Mais votre engagement remonte à plus loin…

Pour l’une de nos premières actions importantes, avant les Refettorios, on s’est penché sur la préservation des vaches blanches de Modène. À partir des années 60, quand on a privilégié des races plus productives pour faire du parmigiano reggiano, ces vaches locales ont quasiment disparu. L’industrie pensait au nombre, pas à la qualité. Mais dans les années 2000, on est parvenu à convaincre des fromagers de les réintroduire – quitte à produire un peu moins. Puis, en 2012, après un tremblement de terre qui a endommagé 360 000 meules de parmesan à Modène, on a créé une recette spéciale pensée comme un geste social, pour attirer l’attention : le riso cacio e pepe (un risotto au poivre cuit dans un bouillon de parmesan, ndlr). Quatre mois plus tard, toutes les meules abîmées étaient vendues.

Et qu’est-ce qui vous a poussé à agir dans vos propres restaurants ?

Je me souviens de certaines discussions avec Carlo Petrini, l’homme derrière le mouvement Slow Food. En 2014, il avait partagé quelques chiffres sur le fait que nous produisions trop de nourriture : on gâche un tiers de ce qu’on produit, alors que plus de 800 millions de personnes souffrent de la famine ! On utilise de l’électricité, de l’eau et du capital humain, et ça stresse la planète. Ensuite, on brûle et on jette parce qu’il y a trop. Les riches ont ce qu’ils veulent, les pauvres n’ont rien à manger. Ce n’est pas un monde vivable. Je n’ai rien d’un Robin des Bois, je suis juste un homme de bon sens… Ma réflexion tient en quatre mots : culture, connaissance, conscience, responsabilité. Chaque jour, on essaie de créer de la culture, de développer de la connaissance, d’être conscient de nos actions, ce qui mène à l’idée de responsabilité.

En tant que cuisinier, vous prônez la transformation des déchets alimentaires et la réduction du gaspillage. Dans vos restaurants, on ne jette donc rien ?

Je fais en sorte qu’il n’y ait aucun gaspillage à l’Osteria Francescana – ce qui reste des préparations est utilisé pour le repas du personnel. Ça pousse notamment les stagiaires et les commis à développer leur créativité. J’ai grandi avec une grand-mère qui a dû quitter sa maison pendant la guerre, et s’installer à la campagne à cause des bombes. L’un de ses frères produisait des fromages sur les hauteurs de Modène. Tous savaient que rien ne pouvait être jeté, que si on cuisait plus de pain que nécessaire, il fallait l’utiliser autrement, que si on tuait un cochon, il donnait sa vie pour nourrir une famille pendant toute l’année. Il fallait inventer une manière d’utiliser chacun des os. Pour moi, c’est donc presque un acte spirituel, de ne pas gâcher.

Vous dites souvent que vous ne faites pas de la politique, mais de la culture. Qu’entendez-vous par là ?

J’aime beaucoup Joseph Beuys, un artiste provocateur des années 1970 qui réalisait des performances. Pendant dix ans, l’une d’elles consistait à planter des chênes un peu partout, du centre-ville de New York à un parc de Minneapolis, en passant par les Abruzzes. Ça s’intitulait We Shall Never Stop Planting. Ce qu’il voulait, c’était non seulement planter des arbres mais aussi planter des idées !

C’est finalement très engagé…

Oui, mais ce n’est pas un projet politique en soi. Combattre le gaspillage et l’isolement social, c’est une problématique culturelle, qui nécessite de rassembler des esprits créatifs, des artistes, des designers, des cuisiniers et des architectes, afin de créer des espaces magnifiques pour des personnes dans le besoin. Comme l’écrit Camus : « La beauté, sans doute, ne fait pas les révolutions. Mais un jour vient où les révolutions ont besoin d’elle. » Et c’est l’idée derrière les Refettorios. Leur nom vient du latin reficere, qui signifie « restaurer » : restaurer l’esprit des clients qui viennent du monde entier, reconstruire la dignité des personnes qui se sentent bien et apprécient que nous prenions soin d’elles, donner du pouvoir.

Le Refettorio parisien est ouvert depuis mars 2018 à la Madeleine. Bertrand Grébaut, Dominique Crenn ou encore Alessandra Montagne y ont filé ponctuellement un coup de main…

C’est l’un de mes préférés ! On l’a conçu avec Jean-François Rial (patron de Voyageurs du Monde, ndlr) et l’artiste JR dans la crypte de l’église de la Madeleine, qui nous a donné la possibilité de créer ce restaurant solidaire. Pour moi, c’est l’un des lieux les plus intéressants à Paris, rempli d’art et de bonnes vibes.

Les Refettorios ont-il changé votre idée de la cuisine ?

Pas du tout. Comme je le dis toujours, cuisiner est un acte d’amour, que soit dans un quatre étoiles Michelin – j’inclus l’étoile verte – ou au Refettorio. On se donne entièrement, même quand on reste chez soi, comme c’était le cas pendant le confinement où je cuisinais en direct, connecté avec le monde entier. Ça a duré 70 soirs consécutifs. Je voulais montrer comment il était possible d’agir dans nos propres maisons, parce qu’il faut se rappeler que 80 % du gaspillage alimentaire a lieu chez nous.

Que reste-t-il à améliorer dans votre démarche ?

La manière dont on collecte de l’argent. On en a toujours besoin. La seule façon qu’on a trouvée, pour le moment, c’est d’utiliser mon image et ma crédibilité pour organiser des dîners très chers, comme je l’ai fait récemment à Bombay. Mais ça ne suffit pas, il faut en demander plus aux gouvernements.

Aujourd’hui, les prix des aliments montent en flèche…

Les Refettorios vont devenir plus importants que jamais, notre association Food for Soul également. Le futur est devant nous, et il faut mobiliser autant de gens que possible.


Envie d’en savoir plus sur les défis à venir en compagnie de la fine fleur de l’alimentation durable ? Dans le quatrième épisode de Plans de Tables, le chef activiste Anthony Orjollet (Elements, Epoq), le vigneron naturaliste Tom Lubbe (domaine Matassa) et la codirectrice de Terre de Liens Gabriela Morinay-Calmon mettent les pieds dans le plat au cours d’une discussion sur l’avenir de l’agro-cuisine. Un échange à bâtons rompus en partenariat avec S.Pellegrino, partenaire historique du Fooding qui s’engage depuis de nombreuses années pour une gastronomie vectrice de changements pour la société, et soutient également l’association Food for Soul.

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