Cartes sur table et livres des comptes ouverts, ce 20 juillet au Bouillon République pour l’enregistrement du nouvel épisode de Plans de Tables, nos invité·e·s n’étaient pas là pour faire de la figuration, mais pour plonger les mains dans le cambouis de l’économie de la restauration. D’un côté du micro, Camille Guillaud, boss de Candide, adresse bellevilloise ouverte avec le chef Alessandro Candido, qu’elle aime décrire « comme une auberge urbaine ». Le roulement ? Entre 70 et 100 couverts par jour pour une addition moyenne de 24 € le midi, et 45 € le soir. Une bonnette plus loin, Céline Chung, à la fois businesswoman, directrice artistique, décoratrice et cheffe d’équipe, tout cela regroupé sous la bannière de la Bao Family, qu’elle a fondée à 28 ans : soit trois restaurants (Petit Bao, Gros Bao et Bleu Bao), un service de livraison et un Bao Market. « On avait envie de reprendre les codes de la cuisine chinoise traditionnelle, et de les traduire en trois modèles de restaurant différents », décortique celle qui pilote aujourd’hui 150 employé·e·s. Pour un déjeuner chez Bleu Bao par exemple, il vous en coûtera 25 € et pour le dîner, dix de plus. Reste le troisième larron, et pas des moindres : Edward Delling-Williams, cuistot virtuose derrière The Presbytere, imposante gastro-gargote ouverte cette année dans la Manche – entre 60 et 100 couverts par jour pour une note qui oscille entre 35 et 40 €.
Mais à quoi correspondent ces prix, quasiment identiques, pour trois types d’établissement pourtant très différents, voire opposés ? Camille Guillaud dégaine les faits et les chiffres : « Notre premier poste de dépense, c’est la masse salariale. Ensuite le loyer, puis tous les frais cachés : l’entretien de la hotte, par exemple, ou le pain sur la table, qu’on ne fait pas payer – rien que le pain, ça représente 8 000 € hors taxes par an. » Culture française oblige (demandez à nos voisins belges !), l’eau est également gratuite au resto. Pourtant, leurs carafes microfiltrées ont un coût : 3 300 € par an. « Aujourd’hui, on a une petite dissonance dans la perception des prix. J’ai travaillé pour des plateformes de livraison qui font croire que le prix d’une course c’est 2 ou 3 €… » analyse-t-elle. « Le juste prix dans un restaurant, c’est difficile à définir, mais il dépend de l’économie qu’on défend derrière. »
Après deux ans d’existence, traversés par une pandémie et une crise internationale, difficile de dire que la petite entreprise de Camille Guillaud et Alessandro Candido ne connaît pas la crise : « En 2021, comme beaucoup, on a survécu artificiellement grâce aux aides. Je me suis penchée sur le possible bilan 2022, et c’est un peu angoissant. (…) On ne va pas arriver à joindre les deux bouts. » Plusieurs solutions s’offrent donc à Camille et Alessandro, partenaires à la ville comme au resto : baisser leur masse salariale en se passant de main-d’œuvre ; diminuer le coût des matières premières, en se fournissant avec des produits moins chers mais aussi souvent de moins bonne qualité ; ou augmenter les prix, comme on le voit ailleurs. Mais aucune de ces solutions d’infortune ne correspond aux envies et valeurs du couple – qui fait néanmoins déjà beaucoup plus attention à ses dépenses qu’avant. « Avec Alessandro, on veut miser sur le volume et sur la stabilité de notre activité. Il y a aussi une partie du resto, celle des mange-debout, qui a été jusqu’ici sous-exploitée. L’idée, c’est de l’ouvrir le soir en mode cave à manger… »
Edward Delling-Williams a, de son côté, une chance : son auberge est située en Normandie… où les loyers sont forcément beaucoup moins chers. À une heure du Mont-Saint-Michel et face à l’île de Jersey, il profite également d’une affluence de touristes, tout en ayant moins de concurrence sur son créneau que dans une grande ville. « On peut compter sur les locaux tout au long de l’année, mais les vrais profits, c’est l’été ! » lâche le chef, dont le succès rapide de sa nouvelle adresse le rend plutôt optimiste. Mais comme les autres, « notre plus gros poste de coût, ce sont nos employés… ». Camille Guillaud complète : « Pour un employé payé 1 000 € net, nous on doit payer 1 608 €. Si on baissait les charges salariales, ça permettrait vraiment de dynamiser l’emploi. Et puisqu’on paye les impôts en fonction de nos revenus, on pourrait davantage y participer ! » Et la patronne de Bao Family de renchérir : « Payer presque deux fois le salaire qui est véritablement versé, ça nous oblige à réduire le nombre de personnes en salle. Mais pour que ce soit rapide et bien servi, il faut des gens ! »
Car le modèle économique de Gros Bao, Petit Bao et Bleu Bao repose sur trois points essentiels : un service efficace, un grand nombre de couverts et une certaine popularité. « Maintenir la viabilité du restaurant dans le temps, c’est un travail au quotidien ! On n’a pas été rentable tout de suite, il a fallu fidéliser une clientèle. Notre modèle aujourd’hui, c’est le volume. Et il faut être créatif pour le maintenir dans le temps », développe la femme d’affaires. « On travaille donc sur la puissance de la marque, la notoriété de Bao Family. C’est ce qui nous permet de nous faire connaître auprès des Français et des touristes, et nous assure une stabilité – comme avec notre livre de recettes, par exemple. » Si, pour l’homme derrière The Presbytere, « il n’y a pas de formule magique pour avoir un restaurant rentable », Camille Guillaud de Candide a tout de même une petite idée… Reste à voir si nos invité·e·s ont envie de l’appliquer : « Une formule rentable que j’observe, c’est celle d’une cuisine qui nécessite peu de transformation, peu de mise en place, qu’on peut systématiser, voire industrialiser. Ça passe également par le foncier, les matières premières, les économies d’échelle… La question, c’est : est-ce qu’on peut allier ses convictions avec ces critères ? Tout dépend où on met son curseur… »
L’intégralité de la discussion entre Camille Guillaud, Céline Chung et Edward Delling-Williams, animée par Céline Maguet, est à écouter dans Plans de Tables, le podcast du Fooding, disponible sur toutes les plateformes d’écoute.