Depuis toujours, les restaurateur·rices font appel aux designers et décorateur·rices pour mettre du style dans leurs intérieurs. On pense à Slavik, qui signe le Drugstore des Champs-Élysées à la fin des années 50, ou, trente ans plus tard, à Philippe Starck prenant les manettes du Costes. Depuis, les réseaux sociaux ont largement accéléré la tendance : la déco est désormais partie intégrante d’une expérience réussie au restaurant. Alors, un resto doit-il forcément être beau pour cartonner ?
Des réseaux d’influence
Difficile de ne pas imputer le raz-de-marée de concepts en tout genre à l’influence des réseaux sociaux. Médium privilégié de communication, Instagram joue pleinement le rôle de carte de visite pour les restaurateur·rices. Les sites web ? Relégués au rôle de vitrines pratiques pour réserver ou consulter le menu, à la rigueur. Insta, lui, raconte une histoire en images. Et, évidemment, faire joli attire le chaland : quand on aime le bon, on aime le beau. Résultat, Instagram a non seulement uniformisé nos goûts, mais imposé aussi une esthétique commune : béton ciré au sol (quand ce n’est pas un carrelage d’époque), tables en bois, carafes vintage, ambiance faussement désuète et, depuis peu, coupe à glace en métal argenté, cet objet fétiche des restos en vue. À l’autre bout du spectre, les établissements ultra-léchés, souvent signés par des archis d’intérieur pointu·es.
Archis sollicité·es
Ils et elles sont nombreux·ses à s’être fait un nom dans ce domaine, notamment dans la capitale : le duo Friedmann & Versace, et son esthétique glamour et chaleureuse à Mosuke et Colère ; le studio Rodaa, à l’origine des scénos épurées de Doki Doki et Dumbo ; Mur.Mur, qui s’illustre depuis 2018 en signant les décorums saisissants de la boulangerie Liberté, des pizzerias Dalmata, de la poissonnerie Poissons ou encore de l’ultra-photogénique Gros Bao ; Claves, qui a rejoué les codes du café-tabac d’antan pour le très commenté Cornichon ; mais aussi Rudy Guénaire, cofondateur de PNY, qui a lancé sa propre agence après avoir imaginé les adresses de sa franchise partout en France, en déclinant avec brio les codes du diner américain ; ou encore Marion Mailaender, derrière l’enveloppe de Citron & Huîtres, à Paris, ou du très instagrammable Tuba, à Marseille. Leur point commun ? Tous·tes sont de plus en plus sollicité·es sur des projets de restauration où le brief est clair : être radical, différent, marquer les esprits. Pour attire l’œil, certes, mais surtout pour construire l’identité du lieu, en accord avec sa cuisine.
La course au concept
Un coffee shop tout en alu ? Un comptoir à pita ouvert sur la rue ? Un izakaya à la sauce new-yorkaise ? Un néo-PMU ? Les adresses à bécoter flirtent avec tous les récits, surtout les « différenciants ». Dans ces endroits-là, on vient vivre une expérience, qu’elle soit farfelue ou ancrée dans l’histoire – comme dans ces caves à manger, où le carrelage en cassons et les tables de bistrot donnent l’illusion du temps passé. Parce que déco ne rime pas systématiquement avec nouveauté, il est de bon ton, parfois, de faire comme si on n’avait rien touché. Dans tous les cas, l’histoire racontée doit être en accord avec ce qu’on mange. Quand un architecte d’intérieur entre dans la danse, il commence toujours par écouter ce que le ou la patron·ne veut exprimer. Et c’est bien cette symbiose qui donne une âme à un lieu : quand tout sonne juste, sans chichis ni marketing plaqué. Alors, des concepts, oui ! Mais sans oublier l’essentiel : au restaurant, on vient d’abord pour bien manger. Les dîners-spectacles se multiplient, mais ceux qui durent sont ceux où l’on se régale vraiment.
Psst ! Pour aller encore plus loin, ne manquez pas la conférence « Mory Sacko : des fourneaux au design », le jeudi 4 septembre à 16h30 dans le hall 6 du salon Maison&Objet. L’occasion d’entendre un top chef parler du (bon) goût des assiettes et de la déco, et de mieux saisir en quoi celle-ci fait aussi le succès d’un resto.