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Des chef·fe·s bien dans leur peau

Tatouage engagé, improvisé ou réfléchi, référence gustative, esthétique, culturelle ou mémorielle : on a demandé à des chef·fe·s, une mixo et un sommelier à quel point ils avaient la cuisine dans la peau. 

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    Madeleine Kullmann
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Hugo Blanchet, chef du Marrow, à Paris

© Madeleine Kullman

En 3300 avant J.-C. déjà, Otzï (désormais à l’état de momie) se faisait tatouer des points d’acupuncture sur certains de ses membres pour se soulager. Mais le dessin ornemental tel qu’on le connaît aujourd’hui ne se fait une place en Occident que bien plus tard, à la fin du XVIIIe siècle, après que le navigateur James Cook a découvert les pratiques des Maoris, peuple polynésien qui inscrit le passage de l’enfance à l’âge adulte sur son corps. Longtemps symbole d’une certaine marginalité dans notre société, le tatouage a pris son temps avant de se dévoiler en cuisine, préférant se planquer sous une toque ou derrière un tablier. Désormais libéré de ses clichés stigmatisants, devenu un moyen d’expression et marqueur d’identité, il semble sur tous les bras de la restauration.

Jetable en poche, on a flashé les tattoos de chef·fe·s, dun sommelier, dune mixologue et même de la rédac chef du Fooding, lesquels nous ont raconté les histoires dévorantes quils ont dans la peau. 

 

Daniel Morgan, chef volant

« Je me suis fait tatouer bread and butter, une expression anglaise qui signifie “gagne-pain”, sur les deux mains. Elles sont mon outil de travail, et me permettent de gagner ma vie en tant que cuisinier. C’est aussi un clin d’œil au roman autobiographique de George Orwell, Down and Out in Paris and London, dans lequel il raconte sa vie de travailleur pauvre, quand le pain et la margarine faisaient le gros de ses repas. Du pain et du beurre, c’est ce que je grignote toute la journée… mais pas pour les mêmes raisons, heureusement ! J’ai aussi une fourmi sur l’avant-bras. Quand j’étais stagiaire au Noma, un jour, le chef m’a dit : “Enfile tes gants, on part en forêt.” J’ai plongé les mains dans une fourmilière, attrapé une fourmi, et je l’ai mangée… C’est l’expérience gustative la plus incroyable de ma vie ! Une explosion de saveurs : du pamplemousse, du poivre du Sichuan… J’ai réessayé les fourmis en Colombie, mais elles n’ont pas du tout le même goût. »

Daniel Morgan, chef volant.

Daniel Morgan, chef volant.

© Madeleine Kullman

Ninh Fauvel, cheffe de Supra (Paris)

« C’est mon frère qui m’a tatoué pour la première fois “4TH”, du nom du collectif autour de la photo, de l’illustration et du voyage dont je faisais partie. Mes premières expériences en tant que cheffe y sont liées, je cuisinais pour eux dès qu’ils avaient un événement ! Avant d’arriver en cuisine, je suis passée par Duperré (une école d’arts appliqués à Paris, ndlr). J’ai commencé un dessin abstrait, qu’un tatoueur berlinois a continué… un peu comme un cadavre exquis ! Pour moi, il représente la dynamique des fluides et des éléments, qui se retrouve aussi bien en cuisine que dans le vin. Mon dernier tatouage est végétal : il représente des chardons et questionne l’ancrage, l’enracinement, le périssable, et reflète la façon dont je pense la cuisine – liée à la temporalité. »

Ninh Fauvel, cheffe de Supra, à Paris.

Ninh Fauvel, cheffe de Supra, à Paris.

© Madeleine Kullman

Alvaro Martinez, chef de Coup de Tête (Paris)

« J’ai un épi de maïs, en hommage à mes origines sud-américaines, du café, parce que j’en bois tout le temps, un couteau, mon outil de travail quotidien, un poisson-lion, aux épines vénéneuses mais délicieux en carpaccio, un robot KitchenAid, comme j’adore pâtisser… et une phrase qui résume tout : No hay amor más sincero que el amor por la comida, qui signifie “Il n’y a pas d’amour plus fort que celui pour la cuisine”. Tout ça, tatoué en une seule fois ! Mon bras, c’est un peu comme un mémorial de la food qui raconte ma vie, celle d’un amoureux de la cuisine qui a quitté le Venezuela à cause des difficultés politico-économiques et qui, arrivé en France, a trouvé sa place grâce à la restauration. »

Alvaro Martinez, chef de Coup de Tête, à Paris.

Alvaro Martinez, chef de Coup de Tête, à Paris.

© Madeleine Kullman

Davy Tran, sommelier au Verre Volé (Paris)

« Des potes gaucho-anar’ ont imaginé ce tatouage pendant qu’on buvait des coups et c’est Djago qui me l’a tatoué. Étant sommelier, ils trouvaient ça marrant d’inventer une bouteille en hommage au cocktail Molotov… Un Château Molotov grand cru parisien ! »

Davy Tran, sommelier au Verre Volé, à Paris.

Davy Tran, sommelier au Verre Volé, à Paris.

© Madeleine Kullman

Luis Andrade, chef au Cheval d’Or (Paris)

« Les tatouages marquent des étapes importantes de ma vie et que j’ai envie d’ancrer dans ma peau. Sur le mollet, j’ai un couteau de pirate, un fouet de cuisine, et une phrase : Disgadja Nova Lei. Disgadja, c’est de l’argot du Cap-Vert d’où je suis originaire, ça veut dire débrouillard, courageux, qui trace sa route… Nova lei, ça vient de l’argot portugais, et ça signifie nouvelle vie, nouvelle passion, nouveau travail. Quand j’ai quitté le Portugal pour la France, j’avais seize ans, et je ne savais pas quoi faire de ma vie. J’avais déjà taffé comme extra dans des restos de potes, mais je n’avais aucune formation. Je me suis finalement retrouvé à cuisiner pour des étoilés, et aujourd’hui, j’ai un resto… qui a été élu Meilleure régalade du guide Fooding 2024 ! Si je regarde mon parcours, c’est un peu celui d’un pirate, d’un esprit libre qui s’est forgé son propre chemin, hors des sentiers battus. »

Luis Andrade, chef au Cheval d’Or, à Paris.

Luis Andrade, chef au Cheval d’Or, à Paris.

© Madeleine Kullman

Elisabeth Debourse, rédactrice en chef du Fooding

« C’est Gamma GT, un tatoueur bruxellois, qui nous a gravé cette décla’ d’amour à la Belgique, à mon mec (aujourd’hui mon mari) et moi. “Plaisir de frire” vient d’une chronique Fooding, et on se dit d’ailleurs qu’on pourrait très bien compléter le tableau avec une pils qui afficherait “Joie de reboire” – mais ce n’est pas très Dry January… Des gens qui n’y connaissent manifestement rien en bonnes frites m’ont déjà demandé si la mayo était un crachat, ou même un clitoris ! Le reste de ma jambe est l’œuvre d’une autre tatoueuse installée à Bruxelles, Tia Veo. L’idée, c’était de lui faire une liste de courses, et qu’elle m’en tatoue chaque élément dans son style. »

Élisabeth Debourse, rédactrice en chef du Fooding.

Élisabeth Debourse, rédactrice en chef du Fooding.

© Madeleine Kullman

Tom Boeri, chef à Liesse (Bruxelles)

« Avec Pierre (l’autre chef de Liesse, ndlr), on s’est fait tatouer une pipette parce que c’est l’un des ustensiles qu’on utilise le plus en cuisine. Tout y est conditionné : les huiles, les sauces… Pourtant, les gens ne connaissent pas forcément ! C’est Shayto Badjoko, une tatoueuse à qui le Fooding a demandé de tatouer des illustrations de Brecht Vanzieleghem, qui nous l’a fait… pendant la soirée de lancement du guide Belgique 2023 ! »

Tom Boeri, chef à Liesse, à Bruxelles.

Tom Boeri, chef à Liesse, à Bruxelles.

© Madeleine Kullman

Jeff Schilde, chef volant

« J’ai une multitude de tatouages, mais un seul en lien avec la boisson… un verre de vin rouge, tatoué par un pote ! C’est Olivier Camus, ancien proprio du Baratin, qui m’a fait découvrir ce que j’appelle le vin propre, mais que tout le monde appelle le vin nature. Depuis, c’est le seul alcool que je bois. Je l’ai fait sur la main parce que c’est là qu’on attrape son verre de vin. Mes vignerons préférés ? Daniel Sage, Vincent et Marie Tricot. »

Jeff Schilde, chef volant.

Jeff Schilde, chef volant.

© Madeleine Kullman

Ruba Khoury, mixologue de Dirty Lemon (Paris)

« Ce demi-avocat, c’est l’histoire d’une relation amoureuse qui s’est construite autour d’une passion commune, celle de la food. On a décidé de se faire tatouer chacune une moitié d’avocat, non pas parce qu’on affectionne particulièrement cet aliment, mais parce que c’est un beau match esthétique. »

Ruba Khoury, mixologue de Dirty Lemon, à Paris.

Ruba Khoury, mixologue de Dirty Lemon, à Paris.

© Madeleine Kullman

Hugo Blanchet, chef de Marrow (Paris)

« J’ai 18 tatouages… et uniquement de la bouffe ! J’ai commencé en faisant tatouer mes traumatismes d’apprenti : la tournée des artichauts qui n’en finit pas, les coupures à force d’ouvrir des coquilles Saint-Jacques… En évoluant, j’ai continué avec des produits que j’adore, comme les champignons ou d’autres végétaux. Pour le style du dessin, je chine des photos vintage sur Internet que j’envoie à mon tatoueur… le même depuis mon premier tatouage ! »

Hugo Blanchet, chef de Marrow, à Paris.

Hugo Blanchet, chef de Marrow, à Paris.

© Madeleine Kullman

Après avoir poncé les bancs de Science Po, du tribunal de Nanterre et du Hasard Ludique (si, si, il y a un lien), Madeleine Kullmann est aujourd’hui en immersion au Fooding, histoire de voir ce qu’elle peut y Boire, Manger, Vivre – en phase avec sa majeure de master à Lille. Pour cet article, elle a également discuté avec l’écrivaine Héloïse Guay de Bellissen, autrice de Parce que les tatouages sont notre histoire.

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