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« Il n’y a pas eu pour la salle l’engouement de ces dernières années pour la cuisine »

Besogneur sous le feu des critiques des client·e·s, mais pas des projos, le personnel de salle joue un rôle central dans l’expérience d’un bon déjeuner ou dîner – parfois même davantage que les assiettes qu’il apporte… Pour autant, le métier reste peu valorisé, alors que celui de cuisinier·ère est aujourd’hui franchement sacralisé. À califourchon sur plusieurs réalités, Laura Vidal, Théophile Pourriat et Harry Lester, interrogé·e·s par la journaliste Céline Maguet pour le podcast du Fooding Plans de Tables, racontent le vrai cœur de leur travail et se penchent à cette occasion sur les effets vertueux d’une gestion des équipes qui se remet en question.

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    Le Fooding
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© Pauline Chatelan

Les Français·es portent des bérets, travaillent peu, parlent mal anglais et roulent des pelles à qui mieux mieux… D’autres clichés sur la patrie du fromage et du pinard ? Ah oui, ses serveur·se·s seraient glacial·e·s, hautain·e·s, voire carrément désagréables. À l’enregistrement de Plans de Tables ce jour-là, on en parle plutôt comme des personnes dévouées, généreuses et passionnées, au service d’une équipe, d’un restaurant, mais surtout de ses client·e·s. « Le service, ça commence au tout premier regard, au moment précis où le client passe le pas de la porte et où on lui fait sentir qu’il est dans un endroit où on va s’occuper de lui », entame Laura Vidal, sommelière. Ce qui n’implique pas forcément, comme on l’entend aussi souvent, que les serveur·se·s seraient soumis·es et corvéables à merci. Bien plus que de la servitude, le service en salle, c’est « de la disponibilité, de la gentillesse, mais aussi savoir raconter des histoires et améliorer le quotidien des cuisiniers et cuisinières… Ce n’est pas qu’apporter des assiettes ! » complète Théophile Pourriat, restaurateur, qui accueille le public de Plans de Tables dans l’antre de Tapisserie Rive Gauche, la seconde pâtisserie qu’il dirige avec le chef Bertrand Grébaut – en plus de Septime, Septime La Cave, Clamato et D’une île.

À un jet de micro de là, le chef Harry Lester, boss du Saint Eutrope avec son épouse Alexandra, parle plutôt d’un très bon jeu d’acteur dans un restaurant transformé, le temps d’un repas, en salle de théâtre. « C’est drôle, j’ai moi-même fait huit ans de théâtre ! » note Laura Vidal, aux commandes avec ses associé·e·s Julia Mitton et Harry Cummins d’une tripotée de belles adresses à Arles (Chardon) et Marseille (La Mercerie, Livingston et Pétrin Couchette). « Quand on entre en salle, on fait ‘semblant’, et ça nous donne beaucoup d’énergie. » Un théâtre d’impro alors, nuance Théophile Pourriat, pour des travailleur·se·s pas forcément né·e·s comédien·ne·s et parfois même initialement plutôt timides… « Ça n’existe pas le service parfait, la situation idéale ! C’est un métier qui se construit autour de l’imprévu, de l’inattendu, de l’accident de travail, de la démission… Le réaliser, c’est déjà rassurant », ajoute-t-il.

Rassurant pour le personnel de salle comme pour celles et ceux qui les embauchent, dans une époque et un secteur qui connaissent une pénurie de main-d’œuvre aussi inédite que dramatique. Laura Vidal explique, au moins en partie, cette fuite des couteaux et des plateaux : « C’est un métier vraiment difficile. « Top Chef », les films, l’histoire de la créativité… Ce n’est pas la réalité. Ce métier, c’est ouvrir des bêtes, sortir des entrailles, nettoyer avec des produits qui puent, ramasser des choses de la merde… Les plongeurs ont les doigts tout rabougris, nous on a mal au dos, c’est hyper-stressant et anxiogène. Pour quelqu’un qui a des problèmes de santé mentale, ce qui est un autre sujet important, c’est terrible. Il faut être réaliste : ce n’est pas pour tout le monde. Et le Covid a remis ça en perspective. Certains se sont dit : mais pourquoi je fais ça ? »

Harry Lester et Laura Vidal

Harry Lester et Laura Vidal

© Pauline Chatelan

Résultat, Théophile Pourriat ne reçoit plus de candidatures depuis un moment. Alors, pour celles et ceux déjà là, et pour qu’ils le restent, il tente de rendre les conditions de travail plus acceptables : « On a raccourci les horaires. La majeure partie des employés bossent 43 heures par semaine : 39 heures, plus quelques heures sup’ toujours rémunérées. C’est en se disant que c’est une priorité que ça le devient. Mais c’est un chantier permanent (…) On arrive encore à gérer nos équipes de manière familiale, mais les RH sont devenues la plus grosse partie de notre métier. Aujourd’hui bien plus qu’avant, on est constamment à la recherche de personnel, en train de faire de la formation, de l’aménagement de planning… »

À La Mercerie qui a traversé la crise du Covid, Laura Vidal a eu la chance de bénéficier de l’attractivité de Marseille, où nombre de travailleur·se·s ont voulu se rapprocher de la mer et du soleil. Sa logique est donc différente : « On a des schémas de primes supplémentaires qui sont affectées pour que les gens puissent arrondir leurs fins de mois. C’est un système méritocratique. On est deux Canadiennes et un Anglais aux manettes, donc on est un peu plus éloignés du système français de salaires fixes… » Et avec ça ? « On demande à nos employés ce qu’ils veulent. On essaie de faire du sur-mesure parce que je pense que tout le monde veut faire quelque chose de différent. Ça prend du temps, c’est du management. Mais c’est gagnant-gagnant. » Au moment de l’embauche, la patronne sudiste est donc cash : « Je ne veux pas qu’on me dise ce que je veux entendre, je veux qu’on me dise la vérité. Et cette transparence, ça pose directement les choses. On a rarement eu des personnes qui nous ont lâchés du jour au lendemain – jamais, en fait. »

Du côté de Clermont-Ferrand, la réalité est encore tout autre et Harry Lester peine à trouver localement le personnel qualifié qu’il recherche pour Le Saint Eutrope. Alors ses employé·e·s, un peu plus âgé·e·s et là pour rester, sont anglais·es, néo-zélandais·es… mais pas moins attaché·e·s au restaurant. « C’est aussi pour ça que mes employés acceptent d’être payés un peu moins : parce qu’on fait ça pour nous, pour les gens comme nous ! » Une famille ou un culte ? Harry Lester, qui sert lui-même régulièrement en salle, hésite quand il s’agit de décrire la petite communauté aux frontières floues qui habite son restaurant. Il tranche : « Ce sont mes meilleurs amis. C’est très intime – trop peut-être ! » Théophile Pourriat a plutôt l’impression d’avoir fait se rencontrer une grande bande de potes. « Ils traînent ensemble, sortent ensemble, partent en vacances ensemble… » raconte le restaurateur. Mais « on essaie de ne pas trop sortir avec eux, de garder l’équilibre entre une relation pro et amicale ». Une balance chère à Laura Vidal également : « On crée de la distance avec l’équipe avec des fiches de poste précises. Ça implique une vraie responsabilité professionnelle, et cette limite claire permet d’avoir ensuite une relation personnelle plus fluide. » Pour autant, elle ne compte plus les couples qui se sont formés au sein de ses adresses – l’amour a ses raisons que le boulot ignore…

Tapisserie rive gauche, où l'enregistrement de Plans de Tables a eu lieu – pâtisserie en sus !

Tapisserie rive gauche, où l'enregistrement de Plans de Tables a eu lieu – pâtisserie en sus !

© Pauline Chatelan

Pour garder le contact et mieux communiquer, tous les trois insistent sur l’importance du staff meal, ce moment où le personnel rompt le pain – ou s’enquille quelques verres de vin. À Septime, Clamato ou D’une île, « on insiste sur sa qualité et le fait qu’il soit d’une ponctualité irréprochable. C’est un moment sacré, hyper-important parce qu’il est fédérateur, même si les équipes ne s’en rendent pas toujours compte ». Pour Laura Vidal et ses collègues, s’installer autour d’une table ensemble n’a pas toujours été aussi évident : « À La Mercerie, le staff meal a longtemps été problématique. On n’y arrivait pas. Harry Cummins a été ‘élevé’ à la dure à Londres, et ce n’était pas naturel pour lui. Mais nos employés se sont exprimés – c’était devenu un sujet. On a commencé à dresser la table, à prendre le temps de s’asseoir… » Valentin Raffali, le chef aux fourneaux de Livingston, l’une de ses enseignes, a quant à lui tout de suite insisté pour avoir une heure de pause pour déjeuner – qu’importe si elle arrive bien avant ou après l’heure officielle. Du côté de Clermont, c’est effectivement le flou artistique qu’Harry Lester affectionne tant : « On est toujours à la bourre en cuisine, alors on mange entre les deux services. Ce sont les ‘restes’ du service, et donc de bons restes (…) C’est le moment pour l’équipe de voir comment les choses sont cuisinées… et donc pourquoi on était en retard ! On partage un bon repas, on boit du vin… »

Profession unique, « au service » d’un lieu, de patron·ne·s comme de client·e·s, celui de « personne de salle » n’est pas toujours simple, mais incroyablement riche – ceci, nos trois invité·e·s en sont persuadé·e·s. « Ce métier, il se définit en comblant les vides, en palliant le manque, en rendant tout plus agréable », estime Théophile Pourriat. Il regrette donc qu’il n’y ait pas eu, ces dernières années, le même engouement pour la salle que pour la cuisine. « Ce sont des métiers qui ont besoin d’être valorisés. Il faut sortir de l’image du porte-assiette, de la personne désagréable… Il faut pouvoir se dire aujourd’hui : ‘Je suis serveur, c’est cool !’ Car ça peut être une carrière… »

L’intégralité de la discussion entre Laura Vidal, Théophile Pourriat et Harry Lester, animée par Céline Maguet, est à écouter dans Plans de Tables, le podcast du Fooding, disponible sur toutes les plateformes d’écoute.

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